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Mais si Verlaine a mieux saisi, s’il a pu définir la pure ligne de son art, en relisant Shakspeare, c’est que les déchirures de son cœur avaient ravivé et exalté au plus haut point sa sensibilité, c’est que la destinée, en infligeant à sa jeunesse dévoyée le bienfait du malheur, lui avait révélé son âme.

Comment n’eût-il pas abouti à l’œuvre capitale où quelquefois, pour un instant, chez les plus heureux écrivains, brille d’un vif éclat la flamme pure du génie ! Il suffisait qu’il attendît, qu’il ressentît le choc d’où devait jaillir l’étincelle.


V

On sait comment le directeur de la prison de Mons, devenu presque l’ami du prisonnier, entra un jour dans sa cellule pour lui signifier avec douceur que tout espoir était perdu. Le tribunal parisien avait prononcé contre lui la séparation ; il ne reverrait plus ni sa femme, ni son enfant. C’était, comme le dit dans sa forte simplicité le titre du drame norvégien, supporter « plus qu’homme ne peut. » Il invoqua l’aide céleste. Il se jeta, en sanglotant comme autrefois la pécheresse, aux pieds du Rédempteur. Il fit prier l’aumônier d’entendre sa confession. Il prononça devant lui le mot des païens d’autrefois, lorsque la grâce, illuminant leurs yeux ardens, pénétrait tout leur cœur d’une allégresse aiguë et agissante : « Je suis chrétien. » Et, une fois de plus, l’inspiration du dieu, comme disait déjà la Sibylle virgilienne interprétant le dogme de Platon, emplit une âme de poète et s’épancha des lèvres en chants brûlans.

Tout ce qui était profane fut écarté. Le flot shakspearien lui-même était trop trouble, trop souillé pour un cœur qu’enivrait enfin l’enchantement des sources mêmes de la foi. Après les Evangiles et les Commandemens sans cesse médités, c’est aux Psaumes du roi David, c’est aux confessions du plus humain des Pères de l’Eglise, saint Augustin, c’est aux effusions des mystiques passionnés, saint Bonaventure et sainte Catherine de Sienne, c’est aux commentaires de la religion, célèbres ou obscurs, que reste encore ouverte l’oreille de Verlaine converti ; mais c’est la voix de son remords purifié, la voix de ses espoirs transfigurés, tournés vers l’infini, qu’il écoute presque en tremblant et dont il rend les cris d’épouvante ou d’amour avec une