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art la sympathie est la grande méthode. La sympathie est étrangère au réalisme d’un Bruneau comme à celui d’un Zola, tandis que le réalisme d’un Charpentier n’a pas d’autre principe ou d’autre base. Et c’est pourquoi le premier a toujours échoué, malgré le dessein qu’il avait formé et la peine qu’il a prise, là où le second, naturellement et tout de suite, a réussi.


Nous sommes en retard avec un ouvrage considérable. M. Maurice Emmanuel, le très distingué successeur du regretté Bourgault-Ducoudray, professeur d’histoire de la musique au Conservatoire, a publié, l’été dernier, en deux forts volumes, une Histoire de la langue musicale. C’est un livre savant, très savant, mais intelligible ; par endroits, presque « un livre de lecture, » comme disent les écoliers des livres qu’ils aiment à lire. De bons juges ont assuré que les érudits ne sauraient trouver là rien à reprendre. Les ignorans, vous pouvez nous en croire, y comprennent pourtant quelque chose.

L’historien lui-même a proposé comme sous-titre, ou titre de rechange, de son histoire, celui-ci : « la vie des sons à travers les âges. » De cette vie il a suivi l’évolution générale et les mouvemens secondaires, en tout sens, fût-ce en arrière ; il en a calculé, comparé, les accroissemens et les pertes, défini le principe et les élémens ; il a montré, vivans, tantôt les sons isolés et qui se suivent, tantôt les groupes sonores. Entre les formes, les époques voisines ou différentes, il a marqué les rapports, ici de similitude ou d’analogie, et là d’opposition ; il a noté les écarts et les retours. Depuis les temps les plus reculés jusqu’aux nôtres, il s’est efforcé, non seulement de tenir ferme les deux bouts de la chaîne, comme disait Bossuet, mais aussi, comme avait dit Pascal, de remplir tout l’entre-deux. Enfin, à cette histoire de la vie sonore, vie mystérieuse, réelle cependant, et déjà tant de fois séculaire, l’historien, parce qu’il est un artiste, a su donner la mobilité, la souplesse, et cet air de fuite constante à quoi se reconnaît, en tout, la vie elle-même.

M. Maurice Emmanuel a divisé deux fois son vaste sujet : d’abord suivant les temps (Antiquité, Moyen Age, Renaissance, époque moderne et contemporaine) : ensuite, selon les divers élémens du langage musical : échelles, harmonies, notation, rythmes et formes, tous étudiés à chacune des époques ci-dessus définies. Ainsi, d’un bout à l’autre de l’histoire, l’ordre chronologique et l’ordre technique se répondent et s’entrelacent. L’auteur a marqué dès le début et par des signes sommaires les grandes étapes de ce double développement. La