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tout ce qui suit nous parait, sinon peut-être inédit, au moins excellent à redire : « Ne peut-on conclure que l’art antique, essentiellement mélodique, a pu réaliser, dans le domaine de la mélodie pure, un idéal différent du nôtre, et aussi plus subtil que le nôtre ? Les professionnels du VIe et du Ve siècle avant notre ère trouveraient à nos échelles de la raideur… Ils se plaindraient de la monotonie de notre Diatonique et prendraient en pitié ce que nous appelons avec orgueil le moderne chromatisme. En revanche, notre opulente polyphonie leur échapperait ; peut-être leur serait-elle odieuse. Bien que leur art, dans sa forme diatonique et vulgaire, contînt en germe une part de l’harmonisation dont nous usons, ses élémens y étaient cachés et les Grecs n’avaient pu, distraits par leur orientation homophone, les en faire sortir. Ils avaient une foi exclusive dans le « melos, » dans la mélodie pure, et pour elle une. prédilection.. Ils raffinaient sur ses contours comme nous raffinons sur nos accords. Et ils traiteraient avec dédain notre ut ré mi fa sol la si ut, qu’ils jugeraient tyrannique. Leur Doristi était plus libérale : elle admettait des modes suffragans, tandis que notre ut majeur est un autocrate, absolu. » Dans tout cela, qui n’est encore une fois qu’un rappel, il y a plus d’une leçon, mélodique ou modale, dont nos modernes musiciens pourraient profiter.

La rythmique surtout leur prodiguerait les enseignemens et les exemples. Dans la musique ancienne, on le sait, le rythme était l’élément par excellence, le père et le maître de tous les autres. « C’est par le rythme peut-être que les lyriques et les tragiques grecs ont le mieux traduit les images et dépeint les passions. » A la mobilité de la pensée, le rythme ; dans leurs œuvres, s’assortit merveilleusement. Et telle est la puissance de ses effets, que, réduit à ce que les syllabes, longues et brèves, nous en livrent… il peut nous procurer, à la simple lecture des textes, des émotions sans analogue en notre art. Celui-ci est incapable d’une telle mobilité. L’isochronisme et la carrure l’ont appauvri. Il a perdu, dans la musique moderne, ces perpétuelles ondulations, ce bouillonnement de vie, par quoi il s’assortissait à l’âme des héros. »

Que de sujets aborde en passant l’historien de cette histoire universelle de la musique ! Que de conflits, ignorés des uns : oubliés des autres, il ranime et sait nous rendre présens ! Je ne soupçonnais pas, avant d’avoir lu tel chapitre sur la rythmique moderne, qu’on pût suivre avec tant d’intérêt l’antinomie, essentielle et funeste, qui met, depuis des siècles, aux prises le rythme et la mesure, la carrure de la phrase mélodique et sa liberté. De telles pages sont faites pour l’ébranlement, peut-être [pour la ruine, en de nombreux esprits, de