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toutes prêtes à s’étaler au jour. Son âge, sa longue habitude du pouvoir imposaient quelque déférence aux cours européennes, de même qu’à la cour de Versailles elles obligeaient à respecter certaines formes anciennes, favorables à l’illusion. Lui parti, tout se relâcha, tout s’en fut à la débandade, tout prit l’aspect d’une année en déroute.


VIII

Au lendemain de cette mort, une même question était sur toutes les lèvres : qui deviendra « le principal ministre ? » Qui dirigera la politique du Roi ? La surprise fut extrême, lorsque l’on apprit que Louis XVI ne remplacerait pas son Mentor, et, qu’il n’y aurait, à l’avenir, aucun « chef du Conseil. » Quelques bonnes âmes crurent devoir s’en réjouir. L’honnête duc de Croy est de ces optimistes : « C’était, écrit-il de Louis XVI, une des grandes époques de son règne, et où on l’attendait… Il ne changea pas la moindre chose à sa vie et à son Ion. Il allait à la chasse et travaillait, aux heures de règle, avec chaque ministre, ayant bien soin de ne parler à aucun que de sa partie, se montrant d’ailleurs assez ferme et décidé… En sorte que, sans aucune affectation et ne paraissant pencher vers personne, il gouvernait réellement par lui-même, en gros. » Bref, déjà ces esprits candides évoquaient l’image du Grand Roi, après la mort de Mazarin.

Combien fut déçu cet espoir ! Louis XVI n’était pas Louis XIV ; Louis XVI n’avait ni Colbert, ni Louvois ; et les aurait-ils eus, qu’il les aurait vite sacrifiés. Echappant à ses mains sans force, la direction des affaires du royaume appartiendra désormais tour à tour, — ou en même temps, ce qui est pire, — aux courtisans ambitieux et cupides, comme les favoris de la Reine, aux hommes d’Etat rétrogrades et à courte vue, comme Vergennes, aux faiseurs, comme Galonné, aux intrigans, comme Loménie de Brienne. Aussi, bientôt, à ce spectacle, au vu de cette abdication, l’idée se formera, au fond des cerveaux populaires, que, la volonté d’un seul homme étant insuffisante, il convient de la remplacer par la volonté générale. Le moyen paraîtra bien simple : il n’y aura « qu’à rassembler des hommes pour les mettre d’accord[1], » et l’on donnera ainsi la parole au pays.

  1. A. Sorel, l’Europe et la Révolution, tome I.