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la bonne volonté résignée qu’elle a apportée jusqu’ici, payant tout, se soumettant à tout, mais sans cette ardeur enflammée qui provoque la victoire et révèle les généraux ?

J’ai soutenu Gambetta aussi longtemps que j’ai vu la somme de bien accomplie par son entourage militaire surpasser la somme de mal accomplie par son entourage civil. Ils ont fait une chose fort belle, que j’admire et à laquelle on devra rendre pleine justice ; mais cette œuvre hâtive et très artificielle ne peut pas subsister sans de profondes modifications. Et partout où leur action directe ne s’est pas étendue, il n’y a que le désordre et la misère. Il faut donc réfléchir. Gambetta se recueille, en ce moment, à ce qu’on nous dit. Il peut commettre des fautes graves, il peut faire acte de bon citoyen, il est capable de l’un et de l’autre : mais je crains les entraînemens du parti, l’irritation de la défaite, la blessure de l’amour-propre, la séduction de la dictature. Mes sympathies et mes convictions sont toutes avec le gouvernement de Paris. Je crois qu’il faut le soutenir et que c’est la nuance où nous devons nous maintenir. Je crois le moment venu de conclure la paix, si elle est possible sans trop de pertes. La partie n’est pas égale ; malgré la colère qui est au fond de tous les cœurs et la bonne volonté de tous les honnêtes gens, on est impuissant. On a sauvé l’honneur, c’était tout ce qu’on pouvait faire : maintenant il faut arrêter l’effusion du sang et préparer l’œuvre de l’avenir.


1er février 1871.

A son père.

Quelques lignes seulement pour te confirmer ma lettre d’hier. Les événemens que je craignais se sont produits. Gambetta a rompu avec Paris. L’exclusion des anciens candidats officiels, etc., est un abus de pouvoir sans précédent. La circulaire aux préfets : « Il nous faut une assemblée qui veuille la guerre, » dépasse en despotisme tout ce que Persigny a jamais pu rêver. Il faut soutenir le gouvernement de Paris ; il faut agir énergiquement dans les élections et combattre la démagogie : elle commet un abus de mots inqualifiable en confondant sa cause avec celle de la défense : elle est incapable de la conduire, de la soutenir et de l’organiser.