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la grève, à quelque distance du torrent dont le fracas, sans-cesse grandissant, empochait de s’entendre, et l’on se fit mille politesses. On se félicita fort de sa réciproque bravoure. On se recommanda mutuellement les prisonniers qu’on s’étaient faits, soin superflu, car les Italiens n’en avaient fait qu’un de marque : le bâtard de Bourbon, et les Français n’en avaient pas fait du tout, ayant tué tout ce qui leur tombait sous la main. Le marquis était très inquiet de savoir si le Roi l’eût fait tuer, s’il avait été pris en la bataille. « Je lui dis que non, raconte Commynes, mais faict bonne chère…  » On gagna la nuit en de semblables entretiens, se promettant de les continuer le lendemain, dès le matin. Le lendemain, qui était le mercredi 8 juillet, les Italiens attendirent, en vain, le plus fin causeur et chroniqueur de leur temps. Il ne parut pas. Enfin, vers midi, ne voyant ni n’entendant rien du côté de Medesano, ils se hasardèrent, quelques-uns, à aller à la découverte, mais si loin qu’on allât, on ne découvrit rien. Les Français avaient décampé…

Etait-on victorieux ? L’ennemi fuyait, bien heureusement, mais en continuant sa route vers le but qu’il s’était proposé et après avoir infligé des pertes sanglantes à ceux qui avaient tenté de la lui barrer. Le marquis ne savait trop comment baptiser cette action militaire. Il écrivit à Isabelle d’Este : « La bataille d’hier, comme vous l’aurez appris du messager, fut très rudement disputée, et nous avons perdu beaucoup de nos hommes, entre autres le seigneur Rodolfo et messire Giovanni Maria avec un grand contingent de notre propre compagnie, mais certainement beaucoup plus encore chez l’ennemi ont été tués. Et ce que nous avons fait, personnellement, est connu de tous, de telle sorte que je n’ai pas besoin d’en parler ici, et je vous dirai seulement que nous nous sommes trouvés dans une position telle que Dieu seul, on peut le dire, pouvait nous en tirer. La cause principale du désordre fut la désobéissance des stradiots, lesquels ne pensèrent à autre chose qu’à piller et dont, quand on eut besoin d’eux, pas un ne parut. Grâce à Dieu, nous et l’armée avons été sauvés, mais beaucoup ont fui, sans être poursuivis par qui que ce fût, et, parmi eux, la plupart des hommes de pied, de sorte qu’il reste peu de ceux-ci. Tout cela m’a causé le plus grand chagrin que j’aie jamais eu et si, par malheur, nos ennemis s’étaient retournés contre nous, nous étions entièrement détruits. Quelques Français nobles ont été