Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/251

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déshonorer s’ils n’y répondaient par leurs sentimens et par leur vertu. » Cette vertu de la noblesse se résume dans un seul mot bien émouvant lui aussi et bien beau : servir.


II

Eugène-Melchior de Vogüé ressentit plus que personne ce généreux, cet irrésistible besoin de servir, comme avaient fait ceux de sa race. Le secret de son génie et de son cœur tient tout entier dans ces formules de Bonald, qu’il aurait pu faire siennes : « Le mot de servir appliqué aux plus hautes fonctions, inconnu dans ce sens aux peuples anciens, est dans toutes les langues des peuples chrétiens, de l’Evangile qui dit : « Que celui qui veut être « au-dessus des autres ne soit que leur serviteur, » et qui demande : « Qui est le plus grand, de celui qui sert ou de celui qui « est servi ? » Et le peuple n’était-il pas servi par ceux qui étaient voués exclusivement et héréditairement à sa défense par les lois et par les armes ? L’orgueil ne voit flans ce service que des distinctions et des supériorités. La raison, la conscience, la politique n’y voient que des devoirs. » Plus que personne aussi Vogüé connut la tragédie que ce besoin de servir représente pour un homme d’un vieux nom dans notre démocratie révolutionnaire. Il ne s’en est jamais plaint, mais sa physionomie seule la racontait, cette tragédie, par le tourment dont elle restait empreinte et l’espèce de ferveur tendue dont tant de ses pages sont encore souffrantes. Dans le monde moral comme dans le monde de l’action, nos blessures sont nos titres de gloire. Quand la mort a pris Vogüé, il rêvait d’écrire un livre sur Chateaubriand. C’eût été une confession, la seule que sa fierté se fût permise, car les mêmes causes produiront toujours les mêmes effets : l’héritier des seigneurs de Combourg a traversé les mêmes épreuves que celui des seigneurs de Gourdan, — moins fortes peut-être, le corps social français étant moins malade. En même temps qu’un Chateaubriand, qu’un Vogüé, grandes âmes sorties d’une grande race, entendent résonner en eux, au plus profond de leur être, cette voix impérieuse qui leur dit : « Tu dois servir, » une autre voix s’élève qui répond : « Mais comment ? » La première de ces voix est celle de ces morts qui parlent, — que de choses de lui Vogüé a mises dans ce titre ! — La seconde est celle du Siècle, de cette société où la destinée les a