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dénoncé avec beaucoup de sens, comme l’aboutissement de cette erreur, ce Don Quichotte de la bêtise, Bouvard cl Pécuchet. « Ecce homo ! Bouvard, voilà l’homme tel que l’ont fait le progrès, la Science, les immortels principes, sans une grâce supérieure qui le dirige ; un idiot instruit qui tourne dans le monde des idées comme un écureuil dans sa cage. » Soit, mais la Science n’en est pas moins la Science, et les lois qu’elle a dégagées n’en sont pas moins des lois. Bouvard peut penser médiocre, penser impuissant ; il ne pense pas faux, s’il pense d’après la Science. Celle-ci n’a pas fait, elle ne peut pas faire faillite, tant que l’homme lui demande seulement ce qu’elle a promis : fixer les conditions suffisantes et nécessaires de certains phénomènes. Elle n’est outillée ni pour fournir une explication totale de l’univers, ni pour donner le pourquoi de la vie humaine. Elle n’épuise pas le Réel, et d’ailleurs elle n’en a jamais eu l’intention. même ce mot de Science, au singulier, n’est pas scientifique. Il y a des sciences, chacune avec son objet, toutes dominées par un principe commun : la soumission au Réel. C’est donc le Réel qui est leur épreuve et leur mesure. C’est lui qui détermine la méthode à suivre. L’erreur de l’Intellectualisme réside précisément dans l’application à des phénomènes d’un certain ordre, de méthodes qui convenaient pour d’autres. Employer, comme l’ont fait les philosophes du XVIIIe siècle et de la Révolution, pour les phénomènes sociaux, la méthode de déduction excellente en mathématiques, c’est manquer à l’esprit scientifique. C’est y manquer que d’étudier, comme un Strauss, l’histoire des phénomènes religieux avec les méthodes valables pour l’histoire des mœurs ou des législations. C’est, au contraire, penser scientifiquement que d’admettre un domaine et une méthode propres au fait religieux, au fait moral, au fait social et politique. Il y a une expérience religieuse, une expérience morale, une expérience politique, puisqu’il y a des religions vivantes, des moralités vivantes, des sociétés vivantes, et que la vie n’apparaît, ne s’épanouit, ne dure que si elle se conforme à des lois. Pour découvrir ces lois, ce ne sont pas des constructions logiques qu’il faut, dresser, ce sont des observations qu’il faut recueillir, ce sont des mystères qu’il faut constater et comprendre comme tels. Il ne s’agit pas de rejeter la physique et la chimie, les mathématiques et la biologie, pour ne plus en appeler qu’à l’instinct. Il s’agit d’admettre que les