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les grands corps de métier, on revenait à l’ancienne réglementation.

Ce retour en arrière ne se fit pas sans résistance. Les travailleurs, quelque temps affranchis, ne reprirent pas le joug avec docilité. Des conflits renouvelés mirent de ce jour aux prises artisans et patrons. Des incidens surgirent, que les gens réfléchis n’envisageaient pas sans effroi. C’est ainsi que l’on vit, dans une manufacture, les ouvriers, formés en tribunal, condamner à l’amende ceux d’une fabrique voisine, pour n’avoir pas pris le parti de leurs camarades congédiés, et menacer de l’interdit tous ceux qui refuseraient de reconnaître la sentence. Devant de tels symptômes, en présence de ces mœurs nouvelles, de l’état d’esprit qu’elles décelaient, les sages se demandaient combien de temps pourrait tenir une politique de contrainte et de régression.


Les destructions opérées par Clugny furent cependant moins critiquées encore que certaines de ses créations, parmi lesquelles il faut noter surtout l’institution de la « Loterie royale de France. » C’était chez nous une chose nouvelle. Sans doute, malgré les nombreux règlemens qui proscrivaient tous les jeux de hasard, quelques loteries particulières, établies en faveur d’œuvres utiles ou bienfaisantes, comme l’Ecole militaire ou des communautés religieuses indigentes, étaient tacitement tolérées, à cause de leur objet. Mais Clugny osa davantage. En vue de procurer une ressource au Trésor, il s’avisa de supprimer toutes les loteries partielles, pour fonder une vaste loterie, fonctionnant au profit du Roi, administrée sous son autorité par des commissaires officiels[1]. La lettre où il annonce cette audacieuse innovation expose avec un cynisme candide les motifs qui l’inspirent et le but qu’il poursuit : « Sur ce qu’il a été représenté au Roi que les différentes loteries établies jusqu’à présent dans le royaume n’avaient pas pu empêcher ses sujets de porter leurs fonds dans les pays étrangers…, il a paru qu’il ne pouvait y avoir d’autre remède que de leur procurer une nouvelle loterie, dont les différens jeux, en leur présentant les hasards qu’ils veulent chercher, soient capables de satisfaire et de fixer leurs goûts. » Ce langage, succédant à celui de

  1. Arrêt du Conseil du 30 juin 1770.