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Turgot, ne pouvait manquer d’exciter une indignation assez vive. La note nous est donnée dans ce passage d’une des gazettes du temps : « Par cette érection infâme, y lit-on[1], le Roi s’établit en quelque sorte le chef de tous les tripots de son royaume, leur donne l’exemple d’une abominable cupidité et semble vouloir faire de ses sujets autant de dupes ! »

Mais le plus grand scandale fut provoqué par la conduite privée et les façons d’agir du nouveau ministre du Roi. A peine installé au pouvoir, son premier soin était de renouveler tous les baux de finance, pour en tirer des pots-de-vin, pour extorquer des « croupes » qu’il distribuait, sans nulle vergogne, à ses maîtresses et à ses complaisans. « Clugny, témoigne Marmontel, parut n’être venu que pour faire le dégât aux finances, avec ses compagnons et ses filles de joie, » et se livrer « à un pillage impudent dont le Roi seul ne savait rien. » — « Le contrôle, renchérit Augeard, était réellement devenu un mauvais lieu et le rassemblement des fripons et des catins de Paris. » Après trois mois de ce régime, la défiance devint telle dans le monde financier, que toutes les affaires languissaient, toutes les bourses se resserraient, les banques les plus solides refusaient leur crédit, et les effets royaux tombaient « avec une précipitation effrayante, » si bien que, pour certaines valeurs, la dépréciation atteignait vingt pour cent.

Maurepas, malgré sa légèreté, commençait à s’épouvanter. Il mandait son ami Augeard, lui confessait ses craintes, lui proposait à brûle-pourpoint la place d’intendant du Trésor, pour mettre un terme à cette gabegie et relever un peu le crédit de l’Etat. Augeard, comme bien on pense, se refusait à être, selon son expression, « le partenaire ou le jockey d’un être diffamé. » Maurepas, toutefois, ne se tenait pas pour battu ; apprenant que Clugny souffrait d’une forte attaque de goutte, il renouvelait et précisait son offre : « Que Clugny crève ou non, disait-il à Augeard, je partage le contrôle général en deux. Je vous donne le Trésor royal, et la partie contentieuse à Taboureau. »


La nature arrangea les choses et se chargea du dénouement. A peine débarrassé de son accès de goutte, Clugny, plus que jamais, se replongeait dans sa vie de débauches ; les premiers

  1. L’Espion anglais, tome IV.