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pour avoir osé libérer quelques vieilles hérétiques détenues dans les cachots d’Aigues-Mortes. Et peu d’années auparavant, le Parlement de Toulouse n’avait-il pas fait supplicier, pour avoir « exercé les fonctions de son ministère, » un pasteur protestant nommé François Rochette ? On l’avait vu, « tête nue, pieds nus, la hart au col, » marcher à l’échafaud, portant un écriteau où on lisait ces mots : Ministre de la religion prétendue réformée[1]. Presque au lendemain de si-effroyables rigueurs, appeler un de ces réprouvés au poste le plus important, le plus éclatant du royaume, était un acte de hardiesses devant lequel on pouvait croire que reculerait l’âme timide de Louis XVI.


IV

Une légende fort accréditée explique d’assez étrange façon la détermination du Roi. Si le plus dévot de nos princes put faire taire ses scrupules et donner son assentiment à un choix qui devait choquer ses sentimens les plus enracinés, ses plus respectables principes, c’est qu’il y fut poussé, dit-on, par une influence mystérieuse, l’influence occulte d’un homme qui, au début du règne, joua certainement, dans les coulisses de la scène politique, un rôle encore mal défini, indéniable toutefois. Si excessive que soit l’affirmation, elle renferme pourtant quelque parcelle de vérité. Dans tous les cas, elle trouva assez de créance, tant auprès des contemporains que de plus récens historiens, pour qu’il convienne de s’y arrêter un instant et de donner ‘quelques détails sur ce singulier personnage.

Comme Necker genevois d’origine, et fils d’un ancien directeur des finances du duc de Lorraine, passé plus tard dans l’administration française, Jacques Masson, plus connu sous le nom de marquis de Pezai[2], avait débuté dans le monde, en l’an 1756, en qualité d’aide de camp du duc de Rohan. Elégant, bien tourné, d’esprit ouvert, doué, comme écrit un homme qui l’a connu, « d’une rare facilité à se plier à plusieurs objets et d’activité pour les suivre, » il avait paru dévoré, dès sa première jeunesse, d’une ambition démesurée, dont il ne faisait point

  1. Comte d’Haussonville, le Salon de Madame Necker, tome II.
  2. Il naquit à Versailles en 1741. — Pour tous les détails qui suivent, j’ai consulté le Journal de l’abbé de Véri, les Mémoires de Bésenval, de Soulavie, du comte de Tilly, la Correspondance littéraire de la Harpe, la Correspondance secrète de Métra, l’Espion anglais, etc.