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ans, colonel dans l’état-major, ce qui ne l’empêchait pas, dit La Harpe, « de se plaindre tout haut qu’on ne fît rien pour lui. »

L’avènement de Louis XVI surexcita ses espérances, fouetta son imagination. Il résolut de risquer son va-tout. Le moyen dont il se servit était d’une singulière audace. Il réussit à gagner le « garçon » préposé au service « des petits appartemens » de Versailles et s’assura sa connivence. Tout fut combiné de façon qu’un beau matin Louis XVI, sur la table du cabinet où il rédigeait ses dépêches, trouvât une lettre non signée dont le contenu piqua fort sa curiosité. On lui proposait dans cette lettre, conçue en termes respectueux, de lui fournir secrètement, à date fixe, de sûres informations sur toutes les affaires de l’Etat, sur les choses et sur les personnes, sur toutes questions politiques et mondaines dignes de l’attention royale. Cette première lettre, habile, intéressante, répondait fort bien au programme. L’auteur ne réclamait d’ailleurs nul salaire pour ses peines. Servir son maître avec zèle et franchise serait son unique récompense. Surpris et amusé, le Roi lut jusqu’au bout. D’autres lettres suivirent, qui rencontrèrent le même accueil ; et Louis XVI, peu à peu, prit goût à cette correspondance, qui demeura quelque temps anonyme.

Le jour vint cependant où Sartine fut chargé de découvrir le nom du mystérieux informateur, ce qui fut d’autant plus aisé que Pezai ne cherchait qu’à se faire reconnaître. Un entretien qu’il eut avec Sartine le convainquit de l’indulgence du Roi[1]. Il écrivit donc de plus belle, et la correspondance s’établit de la sorte, régulière, abondante, variée, tantôt divertissante, tantôt instructive pour le prince, qui daignait même parfois faire, de sa main, quelques mots de réponse[2]. Maurepas, mis au courant et prévenu par sa femme en faveur de Pezai, ne fit nulle objection à ce commerce épistolaire et, selon sa coutume, tourna la chose en plaisanterie. A quelque temps de là, dans un grand dîner qu’il donnait au duc de Manchester, celui-ci, désignant Pezai : « Quel est donc, interrogeait-il, ce monsieur en habit vert-pomme, veste rose et broderies d’argent, qui est assis au bout de la table ? — C’est le Roi,

  1. Si l’on en croit Bésenval, Louis XVI, quand lui fut révélé l’auteur, renvoya à Pezai une de ses lettres, après y avoir ajouté cette annotation : « J’ai lu, » ce qui ne pouvait manquer d’être pris pour un encouragement.
  2. Journal de l’abbé de Vori.