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répondait Maurepas. — Comment ? — Oui, c’est le Roi, vous dis-je, et je vais vous en donner la preuve : il gouverne ma cousine, Mme de Montbarey, qui gouverne Mme de Maurepas, qui fait de moi tout ce qu’elle veut. Or je mène le Roi. Vous voyez bien que c’est ce monsieur-là qui règne[1] ! » Sans attacher à cette boutade plus d’importance qu’il ne convient, on ne peut nier que, pendant quelque temps, Pezai ne jouît auprès du Roi d’une sérieuse influence. « Il s’était créé, dit Véri, par sa correspondance avec le maître, comme un ministère clandestin. »

Il n’existe aucun doute que ce singulier personnage ne fût, depuis plusieurs années, en relations suivies avec Necker. Celui-ci lui trouvait de l’agrément dans les manières et de la souplesse dans l’esprit. Il rencontra bientôt en lui l’intermédiaire commode qui ferait parvenir directement au trône ses idées sur la politique et sur les finances de l’Etat, et il en profita dans une certaine mesure. Il inspira probablement, — si même il ne tint la plume, — certains mémoires où Pezai exposait au Roi tous les embarras du Trésor et y proposait des remèdes, mémoires clairs, substantiels, remplis d’aperçus ingénieux, dont Louis XVI fut frappé et qu’il fit lire à M. de Maurepas. Ainsi s’expliquent les insinuations de Turgot, quand il écrit à Condorcet[2] : « Je crois que M. Necker a envoyé ou donné à M. de Maurepas différents mémoires, soit pendant, soit depuis mon ministère, mais aucun ne m’a été renvoyé, du moins sous son nom. » Louis XVI et son vieux conseiller connurent plus tard cette collaboration et ils rendirent justice au véritable auteur des notes dont ils avaient apprécié le mérite.


V

Là se borne sans doute la part prise par Pezai à l’élévation de Necker. On a pourtant été plus loin. On a raconté que Pezai avait désigné le premier à l’attention du Roi son ami, son compatriote, qu’il avait vivement insisté pour que le financier genevois fût mis à la tête des affaires ; et Sénac de Meilhan, cité par Soulavie, aurait vu de ses propres yeux « le superbe Necker, enveloppé d’une redingote, » attendant anxieusement,

  1. Mémoires du comte de Tilly.
  2. Lettre du 29 novembre 1776. — Correspondance publiée par M. Charles Henry..