Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/338

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses mérites et que faisant, vers la (in de sa vie, son examen de conscience, il écrive sans broncher ces lignes surprenantes : « À mon grand étonnement, je cherche en vain à me faire un reproche ? »


« Cette conviction d’impeccabilité qui caractérise le doctrinaire s’alliait toutefois avec une bonhomie réelle[1]. » Sainte-Beuve le dit ; tous les témoignages le confirment. Dans la vie ordinaire et au milieu de ses intimes, il se montrait facile, gai même au besoin, d’une vraie simplicité d’allures. Mais, si le cercle était nombreux, et fût-ce en son logis, il était, au contraire, grave, compassé, gourmé et comme distrait, ne se mêlant à la conversation que pour laisser tomber çà et là quelques mots, d’ailleurs bien dits et bien pensés ; après quoi, il rentrait dans son hautain mutisme. « Il manque à M. Necker, remarque Mme du Deffand[2], une des qualités qui rend le plus agréable, une certaine facilité qui donne, pour ainsi dire, de l’esprit à ceux avec qui l’on cause. Il n’aide point à développer ce qu’on pense, et l’on est plus bote avec lui que l’on est tout seul. » Mais cette réserve même, cette froideur, ce silence, seyaient bien à son personnage, lui composaient une physionomie dédaigneuse qui impressionnait fortement. Il devait à cette attitude une bonne part de son ascendant. On regardait avec admiration cet homme qui parlait peu et qui semblait juger les autres. Ce qu’il perdait en sympathie, il le regagnait en prestige.

Avec ces dehors imposans, était-il doué de fermeté, d’énergie dans le caractère ? Il semblerait que, par nature, il fût plutôt, sinon réellement indécis, du moins lent à prendre un parti. Meister en donne pour preuve qu’il l’a vu quelquefois rester « un quart d’heure dans un fiacre, » hésitant vers quel lieu il se ferait d’abord conduire. Sa fille, Mme de Staël, ne nie pas cette légère faiblesse, dont la cause était, assure-t-elle, sa conscience scrupuleuse. Quoi qu’il en soit, il est certain que, pendant son premier ministère, il fit preuve plus d’une fois de résolution et d’audace. Mais c’est qu’il se sentait alors soutenu par l’opinion publique, dont il fut, toute sa vie, le dévot serviteur et qu’il

  1. Sainte-Beuve, Causeries du Lundi.
  2. Lettre du 20 mai 1776, à Walpole. — Correspondance publiée par M. de Lescure.