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il ne sut jamais un mot, s’associait aux répugnances que témoignaient alors les classes ouvrières contre l’introduction du machinisme dans l’industrie. En regard de ces belles phrases, on peut placer un mot significatif de Mrs Byron qui disait : « Si mon fils ne paie pas ce qu’il doit, il y aura beaucoup de pauvres gens ruinés à Nottingham. »

Le succès de Childe Harold fut très grand, d’autant plus grand que les causes les plus frivoles y contribuèrent et que les circonstances historiques s’y prêtèrent. En un instant, l’auteur fut le lion de la saison, le héros de la jeunesse, le favori de toutes les femmes. Les salons aristocratiques se le disputèrent : chez lady Jersey, chez lady Holland, chez Iady Melbourne, il était le point de mire, l’hôte en vue, celui dont on attendait les mots, dont on guettait les sourires. Sa place était marquée aux fameux dîners de Rogers, le banquier-poète, et Beau Brummel daignait le traiter d’égal à égal. Quelle épreuve pour la modestie d’un jeune homme de vingt-trois ans, s’il en avait possédé quelque ombre ! mais il acceptait les hommages et l’adoration des femmes avec la dédaigneuse nonchalance de ces pachas qu’il avait vus en Orient. Elles jetaient à ses pieds une vie d’amour et il ne consentait à prendre qu’une heure de plaisir. Il y a peu d’exemples d’un homme qui ait été aussi follement gâté par une société entière.

Parmi les femmes qui essayèrent de l’accaparer, l’une des plus notables par son rang fut lady Caroline Lamb, femme du futur lord Melbourne, l’homme d’Etat qui devait servir de mentor et de précepteur politique à la jeune reine Victoria. Dans son livre si savoureux, The love affairs of Lord Byron, M. Francis Gribble a raconté, de la façon la plus amusante, la tragi-comédie dont lady Caroline (fut l’héroïne. On s’y attarderait volontiers avec lui, mais il faut négliger les intrigues latérales, les épisodes secondaires pour nous attacher aux personnages de l’action principale.

Impossible de douter que pendant ces trois années écoulées entre le retour d’Orient et le mariage, Byron n’ait cherché à revoir et n’ait revu, en effet, Mrs Chaworth Musters, probablement lorsqu’il se trouvait dans sa résidence de Newstead et qu’elle était sa voisine à Annesley. Elle était alors momentanément séparée de son mari, et cette séparation menaçait ou, si l’on veut, promettait de devenir définitive. Il y avait là une