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pensée de… Cher nom sacré, reste à jamais ignoré ! Du moins, même dans ces pages, ma main tremblerait de l’écrire… Cette après-midi, j’ai brûlé ma pièce commencée…

« J’ai longtemps rêvé aujourd’hui aux souffrances de la séparation. Oh ! comme nous jouissons rarement de la présence des êtres aimés ! Mais, quand ils sont là, les minutes sont des siècles-de bonheur… »

«… Si je rencontre le mari sur le terrain, je recevrai son feu sans le lui rendre. »

Lorsque Byron parle d’un mari offensé dont il essuiera le feu sans y répondre, peut-on admettre un seul instant que ce mari est Musters, le grossier époux de Mary Chaworth ? Peut-on admettre que Byron, blasé à vingt-six ans sur de telles aventures dont il avait été tant de fois le héros, soit bourrelé de remords à l’idée d’avoir séduit une femme séparée de son mari comme s’il avait commis le plus grand des crimes et au point de ne pas même oser écrire son nom dans son journal intime ?

A moins qu’il ne se mente à lui-même ou qu’il soit le jouet d’une hallucination qui lui ôte la perception nette des valeurs morales, il s’agit ici d’un cas très grave, d’un sentiment exceptionnel que l’absence exaspère et dont chaque jour qui s’écoule accroît l’intensité. Enfin le journal s’achève brusquement dans une sorte de paroxysme, comme si l’auteur perdait la raison en écrivant les dernières lignes.

Pourtant, il n’en est rien. Le scandale redouté n’éclate pas. Le poète continue à se débattre avec ses créanciers et son intimité avec sa sœur se resserre encore. Tantôt il est campé à Six Mile Bottom où les cris des marmots et le sabbat qu’ils mènent autour de sa chambre ne semblent pas nuire aux vers qu’il écrit. Tantôt elle s’installe avec ses enfans dans cette noble résidence de Newstead qu’elle se désespère de voir sortir de la famille. Elle y passe l’hiver de 1814 et, au mois d’avril, retourne chez elle un instant pour accoucher d’un quatrième enfant, de cette petite fille qui portera le nom d’une des héroïnes de Byron. Tout le monde admire la beauté de la petite Medora, nul ne prévoit l’affreuse destinée qui l’attend. Il y a un mystère autour de ce berceau ; n’essayons pas encore de le percer.

Quoi qu’il en soit, Mrs Leigh est, de nouveau, à Newstead dans l’été de 1814, et elle travaille, de tout son pouvoir, à