Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/415

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conscience de ses actes. Elle avait donc provoqué une enquête secrète dont elle attendait le résultat. Le docteur Bailly l’ayant assurée que lord Byron était sain de corps et d’esprit et, par conséquent, pleinement responsable de toutes les transgressions morales qu’il avait pu ou qu’il pourrait commettre, elle s’était déterminée à agir.

Soit ! Mais pourquoi cette attitude persistante de sœur dévouée et reconnaissante envers Augusta ? Pourquoi ces quatorze ans d’étroite intimité ?

La réponse est très simple ; mais elle n’est guère à l’honneur de l’humanité en général et, en particulier, à l’honneur des hommes de loi. En effet, les avocats furent d’accord pour conseiller à la jeune femme de conserver envers Augusta toutes les apparences de l’amitié et, surtout, de maintenir avec elle ses relations épistolaires. Ils espéraient ainsi obtenir une confession écrite qui serait indispensable dans le cas où lord Byron réclamerait devant les tribunaux la garde de sa fille Ada, Mais, pour amener Augusta sur le terrain des confidences et des aveux, pour l’obliger, en quelque sorte, à parler de sa faute, il fallait que lady Byron parût travailler à sa conversion, qu’elle simulât un profond intérêt à sa rédemption morale par le repentir. Elle greffa donc sur l’hypocrisie qu’on lui soufflait une autre hypocrisie de son invention.

Augusta, de son côté, se cramponnait à cette fausse amitié comme à sa dernière ressource, comme au seul moyen qui pût la couvrir contre la médisance et le mépris public. Son attitude humble et passive envers lady Byron, inexplicable si elle est innocente, est déjà une preuve de sa culpabilité. Elle a peur de tout : peur de son mari, peur de sa belle-sœur dont elle connaît les vrais sentimens, peur de son frère qu’elle sait capable de toutes les folies, peur d’elle-même, enfin, car son cœur est engagé dans cette douloureuse histoire et il y a des heures où le sang fiévreux des Byron bouillonne dans ses veines. Dans ces momens-là, elle n’est pas loin de tout braver et d’aller rejoindre sur le continent son frère qui l’appelle et l’attend. Puis, la peur reprend le dessus. Il se mêle à ce roman, comme à toutes nos tragédies, une question d’argent qui finit par l’emporter. Son avenir et celui de ses enfans sont en jeu : s’il y a scandale public, elle perd, pour elle-même et pour eux, une grosse succession, sans compter d’autres espérances.