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Conseil. L’incident a naturellement produit une émotion très vive ; il a jeté un grand désarroi dans les esprits et arrêté net les travaux de la Commission, dont le président, M. Léon Bourgeois, a bientôt levé la séance. Il n’y avait pas autre chose à faire. M. Caillaux, M. de Selves et M. Clemenceau sont allés s’expliquer dans un bureau, à la suite de quoi M. le ministre des Affaires étrangères a donné sa démission par une lettre adressée à M. le Président de la République. « Je ne saurais, y écrivait-il, assumer plus longtemps la responsabilité d’une politique extérieure à laquelle font défaut l’unité de vues et l’unité d’action solidaire. »

On s’est demandé tout de suite pourquoi, puisque les choses étaient ainsi et qu’il le savait depuis longtemps, M. de Selves n’avait pas donné plus tôt sa démission. A cette question il a répondu dans sa lettre à M. Fallières qu’il avait voulu conduire à bonne fin des négociations difficiles et en assurer l’approbation par le parlement. Cette préoccupation s’explique ; elle est légitime à certains égards ; cependant M. de Selves aurait été plus approuvé s’il avait donné sa démission le jour même où il s’est aperçu qu’il y avait une diplomatie occulte à côté de la sienne. Son excuse aurait été meilleure s’il avait pu dire qu’il avait ignoré jusqu’alors et qu’il venait seulement d’apprendre que la diplomatie du gouvernement avait deux têtes dont l’une ne savait pas ce que faisait l’autre. On jugera peut-être que cet aveu aurait été encore plus singulier que l’autre et que la considération du gouvernement de la République en aurait éprouvé une atteinte plus grave. Mais nous n’avons pas échappé à cet inconvénient. Dans une séance antérieure delà Commission, à propos des négociations engagées avec l’Allemagne en vue de lui donner des compensations pour qu’elle se désintéressât politiquement du Maroc, M. Monis s’est levé tout pâle et a déclaré qu’il n’avait eu de cela aucune connaissance : il affirmait par surcroit que M. le Président de la République n’en avait pas su davantage. A ce moment, la surprise de la Commission atteignait son point culminant, et elle était mêlée d’un sentiment si pénible que nous aimons mieux ne pas y insister. On comprend que, dans son ignorance, M. Monis n’ait pris aucune décision ; mais M. de Selves savait et il a certainement, lui, tenu M. le Président de la République au courant de ce qui se passait : néanmoins, il est resté au quai d’Orsay et les choses ont continué. M. de Selves a laissé échapper à ce moment la meilleure occasion de donner une démission qu’on peut aujourd’hui trouver tardive.