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ses prédécesseurs, le monarque était l’objet du culte des Français : sous Louis XVI, les Français devinrent l’objet du culte du monarque[1]. » Dorénavant, l’humanité est le mot d’ordre, la popularité le but. Des mesures proposées par ses ministres successifs, toujours le Roi choisit et adopte de préférence celles qu’il imagine devoir plaire aux humbles et aux déshérités. Mais, vacillant en ses desseins, il ne sait pas poursuivre fermement ce qu’il a commencé et, en témoignant sa bonté, il néglige de prouver sa force. Ainsi laisse-t-il lentement péricliter et s’affaiblir entre ses mains l’autorité, sans quoi nul bien sérieux ne peut utilement s’accomplir. Ses qualités, ses vertus mêmes, par le gauche emploi qu’il en fait, portent atteinte au prestige de la royauté et contribuent involontairement à sa perte. Chaque expérience nouvelle n’a fait, jusqu’à ce jour, que confirmer la triste prédiction de l’abbé Galiani : « Attendez[2], et vous verrez avec quelle adresse, quel enchaînement admirable, le Destin, — cet être qui en sait bien long, — escamotera au meilleur des Rois, au mieux intentionné, tous ses desseins, détournera toutes ses bonnes intentions, et fera tout ce qu’il voudra et que nous ne voudrions pas. »

Dans la période du règne à laquelle nous sommes arrivés, Louis XVI possède encore, dans une assez large mesure, la sympathie et la confiance de la classe populaire. C’est chez ses proches, parmi les familiers du trône, qu’il est le plus injustement traité, le plus cruellement méconnu. Ses frères, ses cousins et ses tantes professent pour lui « un superbe dédain » et l’affublent dans leurs propos d’épithètes outrageantes[3]. Il ne rencontre chez les siens qu’hostilité, envie, intrigue ou trahison. Le Comte de Provence le jalouse et travaille sournoisement à déconsidérer son frère. Il se tient à l’écart, affecte un détachement et des manières bourgeoises, qui, chez le peuple parisien, lui valent de temps à autre une ombre de faveur ; mais sa main perfide se rencontre dans toutes les cabales politiques, dans tous les complots fomentés pour diminuer l’autorité du Roi et pour contrecarrer les vues de ses ministres. Cette malveillance secrète est plus dangereuse qu’une haine déclarée. Le Comte

  1. Soulavie, Mémoires sur le règne de Louis XVI.
  2. Lettre du 8 juillet 1774 à Mme d’Epinay. Édition Asse.
  3. On l’appelait couramment dans la famille royale, rapporte Frénilly, le serrurier ou le gros cochon.