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certain, rapporte le libraire, que le Roi s’était laissé aller à un tel accès de fureur qu’il avait souffleté la Reine, ou qu’il l’avait frappée d’un coup de canne; on allait beaucoup plus loin encore, et l’on débitait ce qu’on devinera mieux que je ne pourrais l’écrire. »

La vérité, bien différente, est que Louis XVI, sauf quelques bouderies passagères, quelques boutades un peu brutales, d’ailleurs aussitôt désavouées, témoigne la plupart du temps une extraordinaire indulgence envers les folies de sa femme. Sans doute pense-t-il, comme le dit l’abbé de Vermond, que « la jeunesse et le goût de tout effleurer sans rien approfondir sont la seule source de ses torts, » que les années corrigeront tout et remettront les choses en ordre. Sans doute aussi la cause intime que j’ai indiquée tout à l’heure contribue-t-elle grandement à lui fermer la bouche. Toujours est-il qu’il étonne toute la Cour par sa complaisance sans limite, qui confine à la soumission. « Son maintien, dit Mercy, est celui du courtisan le plus attentif, au point qu’il est le premier à traiter avec une distinction marquée ceux des entours de la Reine qu’elle favorise, tandis que l’on sait de notoriété qu’il ne les aime pas. » — « Quand, après les représentations les plus énergiques, reprend plus tard l’ambassadeur, la Reine répond que rien n’arrive sans le bon plaisir du Roi et qu’il est parfaitement content, toute réplique perd une bonne partie de sa force[1]. »


Louis XVI, à dire le vrai, se contente, la plupart du temps, de constater avec satisfaction que Marie-Antoinette, depuis la disgrâce de Turgot et le tolle qui en est résulté, a presque entièrement renoncé à s’occuper des affaires de l’Etat. Les derniers changemens de ministres l’ont trouvée inactive et comme indifférente. Elle n’y a pris aucune espèce de part; elle semble même « n’avoir été informée qu’après coup de l’élévation de Necker au poste de directeur général des Finances et du renvoi de Taboureau[2]. » Tous ses rapports avec Necker se borneront, pendant les premiers temps, à solliciter çà et là quelques faveurs pour ses amis, sous forme de pensions, sinécures ou « parts dans les fermes. » Quant à Maurepas, de tous temps sa bête

  1. Lettres des 15 novembre 1776 et 15 novembre 1777, à l’Impératrice. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  2. Lettre de Mercy du 15 août 1777. — Ibid.