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avec les Comtes de Provence et d’Artois. De leurs torts et de leurs défauts, rien n’échappe aux regards du trop clairvoyant visiteur : les intrigues du premier, ses menées souterraines pour s’attirer, au détriment du Roi, la faveur populaire, le soin constant qu’il prend de contrecarrer sournoisement les intentions et les vues de son frère ; la vie débauchée du second, ses étourderies, ses folies, sa fureur de dépenses. Joseph ne peut, dans ses lettres intimes, retenir l’expression de son antipathie, de son aversion même, pour la plus grande partie de la famille royale : « Monsieur, écrit-il à son frère, est un être indéfinissable ; mieux que le Roi, il est d’un froid mortel. Madame, laide et grossière, n’est pas Piémontaise pour rien, remplie d’intrigue. Le Comte d’Artois est un petit-maître dans toutes les formes ; sa femme, qui seule fait des enfans, est imbécile absolument[1]. »

Le hasard veut que les deux princes entreprennent, à cette heure, un grand voyage à travers les provinces, dans l’Est et le Sud de la France. Ils y déploient un fastueux « appareil, accompagnés d’une suite nombreuse, donnant et recevant partout les fêtes les plus coûteuses, provoquant le scandale de tous les pays qu’ils parcourent. La comtesse de la Marck, dans ses lettres à Gustave III, nous donne la note du sentiment public : « Monsieur et le Comte d’Artois, écrit-elle[2], viennent de voyager, mais comme ces gens-là voyagent, avec une dépense affreuse, la dévastation des postes et des provinces, et n’en rapportant qu’une graisse étonnante. Monsieur est revenu gros comme un tonneau. Pour M. le comte d’Artois, il y met bon ordre par la vie qu’il mène. » On juge quelles sont, à ce spectacle, les impressions du souverain économe qui, pour un voyage de deux mois, s’enorgueillit de n’avoir pas, en tout, dépensé un million, en comptant dans cette somme de riches présens et des charités abondantes. « Je n’ai pu voir tout cela sans indignation, confie-t-il à Mercy[3], et à moins que votre Maurepas ne soit une pomme cuite (sic), on ne conçoit pas qu’il souffre chose pareille ! »


La vraie opinion de Joseph sur les personnes et les

  1. Lettre du 11 mai 1777. — Maria-Theresia und Joseph II. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  2. Lettre du 7 août 1777. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  3. Lettre de Mercy à Marie-Thérèse, du 15 juillet 1777. — Ibidem.