Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/561

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


II

Toute philosophie, avant de prendre corps en groupes de thèses coordonnées, se présente, à son moment initial, comme une attitude, un esprit, une méthode. Rien de plus important que d’étudier ce point de départ, cet acte primordial d’orientation et de mise en marche, si de la doctrine qui en résulte on veut atteindre ensuite la nuance précise de signification. Là en effet jaillit la source de pensée ; là se détermine la forme du système futur ; et là s’opère la prise de contact avec le réel.

Ce dernier point, notamment, est capital. Retour à la vue directe des choses par delà tous les symboles figuratifs ; descente aux profondeurs intimes de l’être, pour en saisir dans leur qualité pure les pulsations de vie, dans son rythme le plus secret la respiration intérieure ; mesure, au moins, du degré où cela est possible : telle a toujours été l’ambition du philosophe ; et la nouvelle philosophie demeure attachée au même idéal. Mais comment comprend-elle sa tâche ? Voilà ce qu’il importe premièrement d’éclaircir. Car le problème est complexe et le but lointain.

« Nous sommes faits pour agir autant et plus que pour penser, dit M. Bergson ; ou plutôt, quand nous suivons le mouvement de notre nature, c’est pour agir que nous pensons. » Aussi « ce qu’on appelle ordinairement un fait, ce n’est pas la réalité telle qu’elle apparaîtrait à une intuition immédiate, mais une adaptation du réel aux intérêts de la pratique et aux exigences de la vie sociale. » De là une question préliminaire à toute autre : dégager, dans notre représentation commune du monde, le donné proprement dit, des arrangemens que nous y avons introduits en vue de l’action et du langage. Or, pour retrouver la nature dans sa fraîcheur de réalité jaillissante, il ne suffit pas de laisser tomber les images et concepts fabriqués par l’initiative humaine, il suffit moins encore de s’abandonner au torrent des sensations brutes. Nous risquerions ainsi de dissoudre notre pensée dans le rêve ou de l’éteindre dans la nuit. Nous risquerions surtout de nous engager dans une voie impossible à suivre. Le philosophe n’est pas maître de recommencer sur de nouveaux plans l’œuvre de connaissance, avec un esprit que suffirait à refaire vierge et neuf un simple décret