Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/575

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et originale de la source. En vous astreignant à chercher l’objet hors de lui-même, là où certainement il n’est point, sinon par son reflet ou son écho, comment trouveriez-vous jamais sa réalité intime et spécifique ? Vous vous condamnez donc au symbolisme, car une « chose » ne peut être dans une autre que symboliquement.

Et, de plus, votre connaissance des choses restera incurablement relative, relative aux symboles choisis, aux points de vue adoptés. Tout se passera comme pour un mouvement dont image et formule varient avec le lieu d’où on le regarde, avec les repères auxquels on le rapporte, et qui ne se révèle absolument qu’à celui qui s’y insère, qui s’y abandonne et qui en vit du dedans le rythme. La thèse qui soutient l’inévitable relativité de toute connaissance humaine dérive en somme des métaphores qu’on emploie pour décrire l’acte de connaître : le sujet occupe ce point, l’objet cet autre ; comment franchir la distance ? les organes sensoriels remplissent l’intervalle ; comment saisir autre chose que ce qui arrive au bout du fil dans l’appareil récepteur ? l’esprit lui-même est une lanterne de projection qui promène sur la nature un faisceau de lumière ; comment ne la teindrait-il pas de sa couleur propre ? Mais ces difficultés tiennent toutes aux métaphores d’espace employées ; et ces métaphores à leur tour ne font guère qu’illustrer et traduire la méthode commune d’analyse par concepts : méthode réglée avant tout sur les besoins pratiques de l’action et du discours.

Le philosophe doit prendre une attitude exactement inverse : non pas se tenir à distance des choses, mais pratiquer sur elles une sorte d’auscultation intime, et surtout donner cet effort de sympathie par lequel on s’installe dans l’objet, on se mêle amicalement à lui, on s’accorde à son rythme original et, — d’un mot, — on le vit. Ce n’est d’ailleurs là rien de mystérieux ni d’étrange. Considérez vos jugemens quotidiens en matière d’art, de métier ou de sport. Entre savoir par théorie et savoir par expérience, entre comprendre par analogie externe et percevoir par intuition profonde, quelle différence et quel écart ! Qui connaît absolument une machine, du savant qui l’analyse en théorèmes de mécanique, ou du praticien qui a vécu en camaraderie avec elle jusqu’à éprouver la sensation physique de son jeu pénible ou facile, qui a le sentiment de ses articulations