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sait que choisir des traditions ou de la vérité, et qu’on hésite entre les deux partis, dans un embarras bien funeste au travail. Je crois que c’est là ce qui vous arrive : d’autres auraient fait bon marché du témoignage de leurs propres yeux et se seraient obstinés dans leur manière de voir. Vous avez un sentiment vrai, simple et précis des choses, qui vous sauve de l’égarement des routines, à la condition que vous pourrez devenir vous-même.

Un excellent moyen de passer d’une manière extra-nature à la nature, c’est d’étudier comme intermédiaire certaines peintures qui s’en rapprochent davantage. Dans ce sens, — car je reviens par-là à l’étude en question, — je crois que cette peinture de Müller peut vous révéler, à l’endroit du vrai, des choses que vous ignorez.

Si l’occasion s’en présente et que vous ayez besoin un jour de quelque autre chose à copier, je tâcherai de vous envoyer, à défaut d’un Meissonier, chose introuvable dans le commerce et d’ailleurs d’un loyer trop élevé, un Fauvelet ou un Guillemin. C’est de la peinture d’intérieur, fine, exécutée de près, propre à délier la main, à donner du soin et de la propreté d’exécution, et qui, en général, procède assez droit de la nature.

Je vous plains d’être seule, j’apprécierais pour vous le voisinage et la société assidue de vos amies de Notre-Dame ; je me reporte avec bonheur au temps où j’étais des vôtres. Je n’étais pas toujours gai, et il me semble que, dans les dispositions meilleures où je suis depuis quelques mois, vous auriez un hôte un peu moins soucieux.

Vous vous hâtez beaucoup trop, mon amie, de m’appeler d’un nom pour lequel il n’est pas trop de toute ma vie d’homme et que peut-être, en toute justice, je ne m’accorderai jamais. Je suis peintre de fait, et voilà tout. J’aime passionnément la peinture ; je crois, — le travail, la santé et le temps aidant, — pouvoir, dans une très petite mesure, faire quelque chose qui pourra s’appeler peinture, et qui ne ressemblera pas à celle de tout le monde.

Mais il faut attendre, attendre, se torturer beaucoup, s’expatrier encore, revoir encore le soleil, et vivre dans les lieux où mes souvenirs incomplets ont déjà de la peine à me transporter.

Je vous en prie, ne vous flattez pas, dans votre amitié pour