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Les fidèles de l’écrivain et du peintre accueillent avec enthousiasme les Maîtres d’autrefois[1].

Au printemps de la même année, Eugène Fromentin expose des

  1. Edouard Pailleron (11 janvier 1876) : » Bravo !… c’est extrêmement bien, vous savez. Et, comme il faut toujours qu’il y ait un mieux, dans le bien, Rubens est, jusqu’à présent, le véritable capo di latte. Encore ! Encore ! » — M. Hébert admire aussi l’étude sur Rubens : « C’est excellent, et nous fait aimer notre art en le montrant ce qu’il est : tissu d’âme. » — Edmond Scherer qui, depuis Dominique, demeurait fidèlement, attaché à Fromentin, avoue : « J’ai éprouvé une véritable jouissance à tenir réunis entre mes mains ces articles que j’ai tant goûtés, que j’ai lus avec une sorte d’excitation cérébrale si particulière et si agréable ; Savez-vous ce que j’aimerais ? J’aimerais avoir quinze jours devant moi pour vous relire et pour décrire, dans un article, les procédés de style au moyen desquels vous avez transformé la critique de la peinture. La première fois que je vous ai lu, je me disais à chaque page : Oh ! le beau travail qu’il y aurait à faire sur cette manière d’écrire ! »
    Gustave Flaubert à Eugène Fromentin.

    6 juillet 1870.
    « Mon cher ami,
    « Vous avez bien fait de m’envoyer votre livre, car je l’ai lu avec un plaisir infini. Si vous pouviez voir mon exemplaire, les nombreux coups de crayon mis sur les marges vous prouveraient qu’il est pour moi une œuvre sérieuse. Comme c’est intéressant ! et que cela est rare un critique parlant de ce qu’il sait ! Je n’ai pas l’outrecuidance d’apprécier vos idées en fait de peinture, ni les discuter, bien entendu, parce que : 1° je ne suis pas du bâtiment, et que 2° je n’ai pas vu les tableaux dont vous parlez. Je me borne donc à ce qui est de ma compétence : le côté littéraire, lequel me paraît considérable. Je ne vous reproche qu’une chose, un peu de longueur, peut-être. Votre livre eût gagné en intensité si vous eussiez enlevé quelques répétitions, la littérature étant l’art des sacrifices. Deux figures dominent l’ensemble : celle de Rubens et celle de Rembrandt. Vous faites chérir la première, et devant la seconde on reste rêveur. Voici la première fois que je rencontre des phases telles que celles-ci (a) : « Dans le grand blanc, le cadavre du Christ est dessiné par un linéament mince et souple, et modelé par ses propres reliefs, sans nul effort de nuances, grâce à des écarts de valeurs imperceptibles. » Une merveille de précision et de profondeur ! Le passage (pages 186-191) mériterait d’être inscrit sur les murs pour l’édification de tous ceux qui se sentent artistes. Il faut être d’une certaine force pour comprendre ce que vous dites sur l’insignifiance du sujet (p. 201 et suiv.). Rien n’est plus juste ! mais c’est une vérité qui aura bien du mal à s’établir dans les caboches épicières et utilitaires de nos contemporains. Quel esthéticien vous faites ! Page 225 : « On se convaincrait… et qu’il y a de très grandes lois dans un petit objet, etc. » Et page 225 : « L’individualisme des méthodes n’est, à vrai dire, que l’effort de chacun pour imaginer ce qu’il n’a point appris. La soi-disant originalité des procédés modernes cache au fond d’incurables malaises. » Sentences classiques ! Un peintre doublé d’un écrivain pouvait seul écrire la page 351 sur le clair-obscur : « C’est la forme mystérieuse par excellence, etc. » Quant à vos descriptions de tableaux, on les voit ! Enfin, mon cher ami, vous avez fait un livre qui m’a charmé, et, comme j’ai la prétention de m’y connaître, je suis sûr qu’il est bon. Merci du cadeau. Je vous serre les mains fortement. Tout à vous.
    « Gustave FLAUBERT. »
    Croissot, près Rouen, 19 juillet 1876.