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on eût dit que Guillaume n’avait tant mis en vedette la docilité des fidèles que pour accuser plus sévèrement, ensuite, l’indocilité des curés. Mais en même temps, et dans la même phrase, quel délicat hommage à la souveraineté pontificale ! L’Allemagne, par la plume de son César, parlait avec respect de « l’influence puissante que la constitution de l’Eglise accordait au Pape : » et faisant appel à cette influence, elle la conviait à s’exercer, en terre allemande, sur les prêtres allemands.

Cela déplairait peut-être aux « vieux-catholiques, » qui n’avaient d’autre mission que de tenir Rome en échec ; et cela sans doute eût choqué les protestans d’autrefois, si jaloux de fermer la Prusse aux immixtions de l’ « Antéchrist ; » cela démentait enfin d’innombrables commentaires qui, durant les six dernières années, avaient présenté le Culturkampf comme une riposte nécessaire au concile du Vatican, comme une entrave indispensable au progrès de la « théocratie ultramontaine, » comme la lutte inévitable du « germanisme » contre le « romanisme. » Bismarck en personne, à certaines heures, s’était, dans certains de ses discours, inspiré de ces commentaires-là. Mais il ne leur attachait pas plus de prix qu’à des ficelles oratoires, qui font mouvoir les majorités parlementaires. Et voici qu’au contraire, en ce lendemain de conclave, il se retrouvait, sans effort, dans le même état d’esprit qu’au lendemain du Concile : alors déjà il avait invoqué le « papisme » pour que le « papisme » exerçât une pesée sur le clergé français, sur le clergé bavarois, sur le Centre allemand… « L’idée d’un pape infaillible, absolutiste, notait finement le comte d’Arnim, n’est nullement antipathique à Bismarck ; un pape autocrate qui se tienne à son service, voilà l’idéal de Bismarck. »

Le message impérial méritait l’attention de Léon XIII ; il coïncidait, du reste, avec certaines démarches, qui semblaient en accentuer le sens. On voyait revenir à Rome, une fois de plus, l’homme de confiance de Guillaume et du grand-duc de Bade, Henri Gelzer. Moitié théologien, moitié diplomate, autrefois directeur d’une importante revue protestante, il aimait beaucoup, de temps à autre, aller flairer l’air de Rome ; il rêvait, dès 1873, de rencontrer au Vatican « un homme éclairé avec qui il pût causer intelligemment. » Au printemps de 1878, il estima qu’il avait trouvé cet homme : c’était le cardinal Franchi, secrétaire d’Etat du nouveau Pape. Franchi savait son Europe ;