Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/774

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la fois l’indice de son sens clairvoyant, de sa scrupuleuse honnêteté et de son esprit tout d’une pièce, systématique, dépourvu de souplesse. Voici, sous une forme abrégée, quelques-unes des maximes dont se compose ce décalogue :

— L’intérêt, dans l’armée, a pris la place de l’honneur. Il faut réagir contre cet élément de corruption. L’état militaire ne doit pas enrichir.

— Point de titre sans grade ; point de grade sans fonction.

— L’ancienneté dans l’avancement est une bonne méthode, mais elle ne doit avoir la préférence qu’à mérite égal, car « les « emplois ne sont pas faits pour les hommes, mais les hommes « pour les emplois. »

— Le militaire doit avoir toute sécurité relativement à son grade et à son emploi. Il ne doit en être privé que par sa propre faute, s’il manque à ses devoirs, et en entourant cette privation de formes juridiques.

— La religion et la morale sont « le thermomètre assuré « qui marque l’éclat des nations. Toute troupe sans religion et « sans mœurs ne sera jamais bonne. »

Sur ces principes, dont la plupart sont justes en eux-mêmes, Saint-Germain, dès les premiers jours, entreprit d’établir son plan général de réforme.

Au point de vue pratique, l’idée fondamentale à laquelle il s’attache est l’impérieuse urgence d’accroître, d’une manière importante, l’effectif de l’armée, qu’il juge insuffisant. La France, en temps de paix, n’entretient guère alors qu’une centaine de mille hommes[1], chiffre notablement inférieur, par proportion avec celui de la population, aux chiffres relevés chez les puissances voisines, et notamment en Prusse. Cet effectif restreint, Saint-Germain prétend le doubler, et l’on verra qu’il y réussit à peu près. Mais, en même temps, vu l’état des finances, il entend ne pas augmenter le budget de la Guerre ; et c’est là le point difficile, c’est là qu’avec une curiosité ironique l’attendent les gens qui doutent de son « génie. » Voici ce qu’on peut lire dans une gazette du temps : « Le premier soin de M. de Saint-Germain a été de représenter au Roi qu’il était inconvenable que, tenant le premier rang parmi les puissances d’Europe, la France fût celle qui eût le moins de troupes. Il lui

  1. 170 000 sur le papier, mais beaucoup moins dans la réalité.