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sous main par le Comte de Provence, ne craint pas de s’en prendre en face au comte de Saint-Germain, lui disant avec insolence qu’« un jour viendrait où il ne serait plus ministre, et qu’on pourrait alors se faire rendre justice. » Sur quoi, Saint-Germain demandant s’il s’adressait au ministre du Roi ou bien au comte de Saint-Germain : « A tous les deux, » lui répondait Poyanne. « Eh bien ! monsieur, comme ministre, je vous ordonne de vous retirer, et comme Saint-Germain, vous me retrouverez. » Poyanne, enflammé de colère, écrivait au Roi pour se plaindre, et celui-ci se contentait de jeter le billet au feu, en murmurant : « Il faut que Poyanne ait perdu la tête[1] ! « Toutefois, peut-être eût-il sévi, sans le Comte de Provence, qui intervenait dans l’affaire, en arrêtait les suites et épargnait à l’auteur de cette incartade la disgrâce si bien méritée.

Dans ce concert de doléances, à peu près seuls les mousquetaires, tant « noirs » que « gris, » n’entendaient aucune voix s’élever pour les défendre. Depuis longtemps déjà, ils ne paraissaient plus sur les champs de bataille. Confinés en d’ingrates besognes, comme de porter les lettres de cachet et les ordres d’exil, ou, en cas d’émeutes populaires, de renforcer les compagnies du guet, ils avaient perdu le prestige attaché jadis à leur nom. Lors des luîtes de Maupeou contre les parlemens, c’étaient les mousquetaires qui avaient arrêté et conduit en exil les magistrats proscrits[2]. Au temps récent de la « Guerre des farines, » ils avaient contribué à réprimer les troubles. Tous ces souvenirs leur avaient aliéné le cœur du peuple parisien. D’ailleurs, de leurs deux chefs, l’un, M. de La Chèze, était sans crédit à la Cour, l’autre, M. de Montboissier, se laissa désarmer par la promesse du cordon bleu. En de telles conditions, la nouvelle de cette suppression ne provoqua que des railleries,

  1. Journal de Hardy, 24 janvier 1776.
  2. Le Journal du libraire Hardy reflète fidèlement les rancunes de la bourgeoisie parisienne : « On ne pouvait s’empêcher de remarquer, en voyant ces militaires molestés à leur tour par des suppressions, que, lorsque le ministère avait frappé en 1771 sur toute la magistrature du royaume, pour ainsi dire, à bras raccourcis, ils n’avaient cessé de crier, dans les différentes villes du royaume, que le Roi était le maître, que son autorité devait prévaloir en tous lieux, comme aussi d’avoir entendu dire à quelques-uns d’entre eux, en parlant des magistrats alors si injustement persécutés : « Qu’on nous l’ordonne, et nous ferons feu sur tous ces b…-là ! » Des gens si dévoués à l’autorité royale ne pouvaient que donner, dans les circonstances actuelles, les preuves de la plus grande docilité et de la plus parfaite soumission. »