Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/788

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

œuvre, lui valurent, dans les rangs inférieurs de l’armée, une injuste, mais explicable impopularité.

L’idée fondamentale, excellente à coup sûr, à laquelle il s’attache, est la nécessité de faire régner parmi les troupes du Roi une plus exacte discipline. L’insubordination, le « libertinage » du soldat était, et avait été de tout temps le grand vice de l’armée française, singulièrement accru par les revers de la guerre de Sept ans. Rien ne pouvait répugner davantage à l’homme strict, inflexible, épris d’ordre et d’autorité, qu’était le comte de Saint-Germain. Aussi est-ce sur ce point que portera son effort principal, d’un bout à l’autre de son ministère. La « puissance militaire » doit être, dans ses conceptions, un instrument souple, docile, maniable, bien en main, toujours prêt à frapper, un instrument aveugle. Il est partisan déclaré des armées de métier, plus solides que nombreuses, composées de vieilles troupes rompues à la fatigue, exercées de longue date et obéissant à la muette. Le soldat parfait, à ses yeux, tel qu’il l’a défini d’un terme pittoresque, c’est « un chien enchaîné, dressé pour le combat. »

Pour atteindre son but, il recourt à plusieurs moyens, et d’abord aux moyens moraux. Il remonte jusqu’à l’origine du mal et il s’attaque au mode de recrutement toléré par l’usage : emploi des sergens racoleurs, traquenards tendus aux pauvres hères alléchés par de belles promesses, attirés dans les cabarets où le racoleur, après boire, extorque l’engagement qui lie pour de nombreuses années. Saint-Germain veut, avec raison, mettre ordre à ce scandale. Une réglementation sévère n’admet plus que des enrôlemens librement consentis, à des conditions débattues et acceptées d’avance. De plus, défense est faite d’embaucher des enfans imberbes, des gens faibles ou contrefaits, des individus mal famés, des repris de justice. Ainsi l’armée, pense-t-il, sera purifiée dans sa source. Une fois au corps, les jeunes recrues devront être traitées avec une douceur relative. Officiers et bas-officiers reçoivent l’interdiction de malmener, d’injurier, et même de « tutoyer » les hommes. Ils devront leur donner l’exemple d’une vie honorable, réglée, veiller sur leur conduite, sur leurs mœurs et sur leurs propos, les pousser à remplir leurs devoirs religieux, et au besoin, « les conduire à la messe[1]. » Peut-être était-ce trop exiger. Ces

  1. Ordonnance du 23 mars 1776.