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il se sentait envahi. « J’ai vu, écrit Guibert, son auxiliaire et son ami, j’ai vu ce malheureux ministre succombant sous le poids du travail, fatigué au physique, encore plus au moral, dégoûté des contrariétés qu’il essuie. Il me disait, avec un soupir qui venait du fond de son âme, qu’il renoncerait à tout, s’il ne voulait auparavant faire le bien qui lui était possible à exécuter[1]. » C’est ce que Saint-Germain lui-même confirmera, au lendemain de sa chute, dans une note écrite de sa main : « Si je m’étais abandonné au mouvement de mon âme, j’aurais demandé au Roi la permission de me retirer dans mon ermitage. Quelques personnes à qui je m’en ouvris m’en dissuadèrent… On me flatta que le caractère du Roi, sa fermeté, sa simplicité, son amour pour la justice, son aversion pour l’intrigue, me seconderaient, malgré l’indifférence de M. de Maurepas. Pour un tel monarque, je me livrai au plan de réforme de mon département[2]. » Il est certain que s’il se résigna, contre son goût, à garder le pouvoir, ce fut surtout par crainte, s’il se retirait avant l’heure, de « compromettre à tout jamais sa gloire et sa réputation, » et de « faire dire de lui ce qu’on avait dit de Turgot[3]. » Il reste donc, mais en restant, il se laisse arracher toute force et toute autorité par la concession désastreuse qui est la plus grande faute de sa vie politique.


VI

Fort peu de temps après son entrée aux affaires, Saint-Germain s’était aperçu que sa santé, déjà chancelante, ne résisterait pas, s’il n’était sérieusement aidé, à l’écrasante besogne qu’il avait sur les bras, et que, pour mener à bonne fin l’œuvre de refonte générale de son département, il lui fallait, de toute nécessité, des collaborateurs dignes de sa confiance. L’idée lui vint d’instituer auprès du ministre un Grand conseil militaire, où il ferait entrer les meilleurs généraux, et dont l’avis, sur toutes les questions importantes, lui serait un précieux renfort[4]. Maurepas, auquel il soumit ce projet, l’en dissuada

  1. Lettre de 1776. — Correspondance de Mlle de Lespinasse. Édition Villeneuve-Guibert.
  2. Document publié dans les Mémoires de Soulavie.
  3. Correspondance de Métra, 26 juillet 1776.
  4. Mémoires de Soulavie, t. IV.