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rencontrait avec les plus ardens adversaires du ministre, Sartine et le maréchal de Soubise. Aussi sera-t-il désormais, au département de la Guerre, l’homme important, le personnage en vue et quelque chose comme le soleil levant. C’est chez lui que se presse la foule des quémandeurs, habiles à flairer la faveur. Chaque jour, il passe plusieurs heures chez Maurepas, dans une intimité complète ; car ce dernier, de plus en plus, se tourne contre Saint-Germain et encourage par ses propos ceux qui poussent à sa chute. L’un de ceux-ci, le baron de Besenval, dit un jour au Mentor : « Il en sera de M. de Saint-Germain comme de M. Turgot. Il perdra voire armée comme l’autre a perdu vos finances. Mais vous ne le chasserez que lorsque tout sera si bien bouleversé, qu’il n’y aura plus de remède. — Ma foi, réplique Maurepas en éclatant de rire, je crois que vous avez raison ! »


VII

Quelle que fût sa candeur, il fallut bien que Saint-Germain comprît ce qui se tramait contre lui. Tout contribuait à lui ouvrir les yeux. Le Roi lui-même, maintenant, sous l’influence de son vieux conseiller, lui témoigne de la froideur, se montre las de ses projets nouveaux et de ses désirs de réformes. Dans le cours de l’été de l’an 1777, Louis XVI ne répond plus aux mémoires du ministre qu’après un long délai, pendant lequel il prend l’avis de ceux auxquels va sa confiance, Maurepas d’abord, puis Montbarey. Attaqué d’un côté, trahi de l’autre et abandonné par le maître, Saint-Germain reconnaît enfin sa cruelle impuissance et cède à un découragement complet : « Je voyais, écrit-il[1], le mal s’accroître et le bien impossible. Je voyais que les choses étaient parvenues à un tel degré de perversité, que les places, les dignités, les décorations et les grâces allaient être envahies par tous les courtisans et, de préférence, par les plus corrompus. » Il se rendait trop clairement compte que la mollesse du Roi ne lui permettrait pas longtemps de tenir tête à une meute acharnée. « Je n’ai pas ignoré, reprend-il, une seule des clameurs qui se sont élevées contre moi et contre la faiblesse qu’on me reprochait. Je ne conteste pas que j’eusse

  1. Mémoires de Saint-Germain, passim.