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eu le pouvoir de faire un exemple sur des prévaricateurs obscurs et subalternes ; mais, pour cette raison même, cet exemple n’aurait produit aucun effet, et la trop grande bonté du Roi le rendait impossible contre des hommes puissans. »

Pour le jeter à bas, il ne fallut qu’un mince prétexte. Dans bon nombre de corps, le service d’aumônerie était livré, un peu à l’aventure, à des moines ignorans ou à des prêtres sans paroisse, le rebut des diocèses. Pour remédier à cet état de choses et relever le niveau de l’institution, Saint-Germain voulut établir, à l’Ecole militaire, un « séminaire d’aumôniers » pour les troupes, où se formeraient des sujets plus « éclairés » et plus « vertueux. » Aussitôt le bruit circula qu’il comptait réserver ces places à la Société de Jésus, condamnée, renvoyée de France par un arrêt du Parlement. La piété connue du ministre, les souvenirs de son noviciat dans la célèbre Compagnie, donnaient quelque créance à une imputation, d’ailleurs purement imaginaire, et contre laquelle Saint-Germain a protesté avec la dernière énergie[1]. Mais cette perfide manœuvre déchaîna contre lui la violente inimitié de ceux qui jusqu’alors le soutenaient ou, du moins, le ménageaient encore dans une certaine mesure, les philosophes, les rédacteurs de l’Encyclopédie, les novateurs, l’état-major enfin du parti des réformes. Ce fut, parmi ceux-ci, un tolle général.

En présence de ces défections, Saint-Germain crut, non sans raison, avoir maintenant tout le monde contre lui : les princes du sang, les gens de Cour et les hauts dignitaires, pour la guerre qu’il leur avait faite ; la noblesse pauvre et les officiers subalternes, pour n’avoir pu réaliser toutes les belles espérances qu’il avait fait luire à leurs yeux ; les soldats, pour ses ordonnances au sujet de la discipline ; les femmes de qualité, à cause de la rudesse qui rebutait leurs demandes de faveurs ; les philosophes enfin, à cause de ses sentimens religieux. Il fut trouver Maurepas, lui exposa sa triste position, ne rencontra nulle résistance au désir exprimé de prendre sa retraite et le chargea d’instruire le Roi de sa résolution. Tout fut décidé à l’amiable.

  1. « Je proteste ici, lit-on dans ses Mémoires, et je renouvellerai cette protestation à l’article de ma mort, que jamais aucune idée de Jésuites n’est entrée dans mon projet de l’école des aumôniers, que j’ai demandé indistinctement à plusieurs évêques des sujets instruits et vertueux, sous la condition expresse qu’aucun n’eût été jésuite. »