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dénombrables juxtaposées dans l’espace. Elles composent une multiplicité numérique et spatiale, une poussière de termes entre lesquels se nouent des liens de géométrie. Espace et nombre, voilà donc les deux formes d’immobilité, les deux schèmes d’analyse dont il nous faut oublier l’obsession. Je ne dis pas qu’il n’y ait aucune place à leur faire, même dans le monde interne. Mais leur convenance est d’autant moindre qu’on entre plus avant au cœur de la vie psychologique.

C’est qu’il y a, en effet, plusieurs plans de conscience, étages en profondeur, qui marquent tous les degrés intermédiaires entre la pensée pure et l’action corporelle, et qu’intéresse à la fois chaque phénomène de l’esprit, ainsi répété à mille hauteurs comme les harmoniques d’un même son. Ou, si vous préférez, la vie spirituelle ne s’étale pas en nappe uniformément transparente ; mais elle surgit comme un flot d’abord pressé, peu à peu épanoui en gerbe, qui traverse bien des états divers depuis le jaillissement sombre et dru de la source jusqu’à la dispersion lumineuse des gouttelettes retombantes ; et chacun de ses modes présente à son tour un caractère semblable, n’étant lui-même qu’un filet de la gerbe totale. Voilà sans doute l’idée centrale et génératrice du livre admirable intitulé Matière et Mémoire. Combien voudrais-je qu’il me fût possible d’en condenser ici la substance, d’en faire sentir l’étonnante puissance de synthèse, qui réussit à contracter toute une métaphysique et à l’étreindre d’une si forte prise que le critère finisse par s’en trouver dans la discussion de quelques humbles faits relatifs à la physiologie du cerveau ! Mais sa rigueur technique et sa concision même, jointes à sa richesse, le rendent irrésumable ; et je ne puis qu’en indiquer d’un mot les conclusions.

Qu’il existe, d’abord, un monde intérieur, une activité spirituelle distincte de la matière et de son mécanisme, il le faut avouer, pour peu que l’on se pique de méthode positive. Nulle chimie cérébrale, nulle danse d’atomes n’équivaut à la moindre pensée, que dis-je ? à la moindre sensation. D’aucuns, il est vrai, ont affirmé une thèse de parallélisme, selon laquelle chaque phénomène de l’esprit correspondrait point par point à un phénomène du cerveau, sans y rien ajouter, sans influer sur son cours, ne faisant que le traduire dans une autre langue, si bien qu’un regard assez perspicace pour suivre jusqu’en leurs menus épisodes les révolutions moléculaires et les flux