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philosophe est de créer quelque nouveau concept, au lieu de s’en tenir à une combinaison d’élémens antérieurs.

L’homme est libre, dit le sens commun, dans la mesure où son action ne dépend que de soi. « Nous sommes libres, dit M. Bergson, quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils l’expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu’on trouve parfois entre l’œuvre et l’artiste. » Deux conceptions qui s’équivalent, deux formules consonantes. Pourquoi chercher autre chose ? Il est vrai que cela revient à caractériser l’acte libre par son originalité même, au sens étymologique du mot : ce qui n’est au fond qu’une autre manière de le déclarer incommensurable avec tout concept, réfractaire à se laisser enclore dans aucune définition. Mais cela, tout de même, n’est-ce point la seule vraie donnée immédiate ? Que notre vie spirituelle soit action véritable, capable d’indépendance, d’initiative, de nouveauté irréductible, non simple effet propagé du dehors, non simple prolongement du mécanisme extérieur, et qu’elle soit nôtre au point de constituer à chaque moment, pour qui sait voir, une invention essentiellement incomparable et neuve : voilà ce qui nous la fait estimer libre, voilà ce que représente pour nous le nom de liberté. Ainsi comprise, — et décidément c’est ainsi qu’il faut la comprendre, — la liberté est chose profonde : ne la cherchons que dans les grands choix solennels qui engagent notre vie, non dans les menus gestes familiers que leur insignifiance même soumet à toutes les influences ambiantes, à tous les souffles épars autour de nous ; la liberté est chose rare : beaucoup vivent et meurent sans l’avoir jamais connue ; la liberté est chose qui comporte à l’infini des degrés et des nuances : elle se mesure à notre pouvoir d’intériorité ; la liberté est chose qui se fait en nous sans cesse : nous sommes libérables plus que libres ; et la liberté enfin est chose de durée, non d’espace et de nombre, non d’improvisation ni de décret : est libre l’acte longtemps préparé, l’acte lourd de toute notre histoire, qui tombe comme un fruit mûr de notre vie antérieure.

Mais de ces vues comment instituer une vérification positive ? comment écarter le péril d’illusion ? La preuve résultera ici d’une critique des théories adverses, jointe à une observation directe de la réalité psychologique dégagée des formes trompeuses qui en faussent la perception commune. Et il sera facile,