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par des perceptions et du dedans par des affections. C’est donc pour notre enquête un cas privilégié. Par analogie, d’ailleurs, nous étudierons du même coup les autres corps vivans, qu’une induction de chaque jour nous montre tous plus ou moins semblables au nôtre. Or quels sont les caractères distinctifs de ces réalités nouvelles ? Beaucoup mieux que les objets inorganiques, chacune d’elles possède une individualité vraie ; tandis que les premiers ne se délimitent guère que par rapport aux besoins des secondes et ainsi ne constituent pas des êtres en soi, celles-ci accusent une puissante unité intérieure, que leur prodigieuse complication ne fait que souligner encore : elles forment des touts naturellement clos. Ces touts ne sont pas des assemblages de parties juxtaposées : ce sont des organismes, c’est-à-dire des systèmes de fonctions solidaires, où chaque détail implique l’ensemble, où les divers élémens s’entrepénètrent. Ces organismes changent et se modifient sans cesse ; on dit qu’ils ne sont pas seulement, mais qu’ils vivent ; et leur vie est l’instabilité même, une fuite, un écoulement perpétuel. Cette fuite ininterrompue n’a rien de comparable à un mouvement géométrique ; c’est une succession rythmée de phases dont chacune contient la résonance de toutes celles qui précèdent ; chaque état subsiste dans l’état suivant ; la vie corporelle est déjà mémoire ; l’être vivant se charge de son passé, il fait boule de neige avec lui-même, en lui est ouvert un registre où s’inscrit le temps, il mûrit et il vieillit. Enfin, malgré les ressemblances, le corps vivant demeure toujours une sorte d’invention absolument originale et unique, car il n’y en a pas deux exemplaires tout à fait pareils ; et il apparaît, parmi les objets inertes, réservoir d’indétermination, centre de spontanéité, de contingence, d’action véritable, comme si, dans le cours des phénomènes, rien ne pouvait se produire de réellement nouveau que par son intermédiaire. Telles sont les tendances caractéristiques de la vie, tels les aspects qu’elle présente à l’observation immédiate. Que l’activité spirituelle préside inconsciente à l’évolution biologique ou que simplement elle la prolonge, toujours est-il que nous retrouvons ici et là les traits essentiels de la durée.

Mais je viens de dire « individualité. » Est-ce en effet une des marques distinctives de la vie ? On sait pourtant combien il est difficile de la définir avec rigueur. Nulle part, non pas