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phases consécutives, serait d’un seul coup dépliée devant nos yeux en éventail. Que dis-je ? Ne parle-t-on pas aujourd’hui de vieillissement, de désagrégation atomique ? Si la quantité de l’énergie se conserve, du moins sa qualité va-t-elle toujours en se dégradant. A côté de quelque chose qui reste constant, le _monde contient aussi quelque chose qui s’use, qui se dissipe, qui s’épuise, qui se défait. Bien plus, un échantillon de métal, dans sa structure moléculaire, garde une trace indélébile des traitemens qu’il a subis : il y a, disent les physiciens, une « mémoire des solides. » Autant de données très positives que laisse échapper le pur mécanisme. Au surplus, ne faut-il pas que soit d’abord posé ce qui ensuite se conservera ou se dégradera ? D’où un autre aspect des choses : l’aspect genèse et création ; et, de fait, nous constatons l’effort ascendant de la vie comme une réalité non moins éclatante que l’inertie mécanique. En définitive, un double mouvement de montée et de descente : telles apparaissent à l’observation immédiate la vie et la matière. Ces deux courans se rencontrent ; ils entrent en lutte ; et c’est le drame de l’évolution dont M. Bergson a un jour magnifiquement exprimé le sens, en précisant la place éminente qui revient à l’homme dans la nature :

« Je ne puis envisager l’évolution générale et le progrès de la vie dans l’ensemble du monde organisé, la coordination et la subordination des fonctions vitales les unes aux autres chez un même être vivant, les relations que la psychologie et la physiologie combinées semblent devoir établir entre l’activité cérébrale et la pensée chez l’homme, sans arriver à cette conclusion que la vie est un immense effort tenté par la pensée pour obtenir de la matière quelque chose que la matière ne voudrait pas lui donner. La matière est inerte, elle est le siège de la nécessité, elle procède mécaniquement. Il semble que la pensée cherche à profiter de cette aptitude mécanique de la matière, à l’utiliser pour des actions, à convertir ainsi en mouvemens contingens dans l’espace et en imprévisibles événemens dans le temps tout ce qu’elle porte en elle d’énergie créatrice, — du moins tout ce que cette énergie a de jouable et d’extériorisable. Savamment et laborieusement elle entasse complication sur complication pour faire de la liberté avec de la nécessité, pour se composer une matière si subtile, si mobile, que la liberté arrive à se tenir en équilibre, par un véritable paradoxe