Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/828

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que suit une phase d’exécution, calcul et art, efficience balistique et but concerté, mécanisme qui lance après finalité qui vise. Mais l’explication véritable doit être cherchée ailleurs. Et M. Bergson le met en évidence par deux analyses admirables où il démonte les idées communes de désordre et de néant pour en dénoncer le sens tout relatif à nos procédés d’industrie ou de discours.

Revenons aux faits, à l’expérience immédiate, et cherchons à en traduire naïvement les données pures. Quels sont les caractères de l’évolution vitale ? C’est d’abord une continuité dynamique, une continuité de progrès qualitatif. C’est ensuite essentiellement une durée, un rythme irréversible, un travail de maturation intérieure. Par la mémoire qui lui est inhérente, tout son passé survit et s’accumule, tout son passé lui demeure à jamais présent : ce qui revient à dire qu’elle est expérience. Et elle est aussi effort d’invention perpétuelle, génération de nouveauté incessante, indéductible, capable de défier toute prévision comme toute répétition : on la voit à l’œuvre de recherche dans les tàtonnemens que manifeste la genèse longuement essayée des espèces, on la voit triomphante dans l’originalité du moindre état de conscience, du moindre corps, de la moindre cellule, dont l’infini des temps et des espaces n’offre pas deux exemplaires identiques. Mais voici l’écueil qui la guette et où trop souvent elle succombe : l’habitude, qui serait moyen d’agir plus et mieux si elle restait libre, qui devient arrêt et obstacle à mesure qu’elle se figent se matérialise, Ce sont d’abord les types moyens autour desquels oscille une action dont l’amplitude se réduit et décroît. Puis ce sont les organes résiduels, les témoins de vie morte, les encroûtemens dont peu à peu se retire le flot de conscience. Et enfin ce sont les engrenages inertes dont toute vie réelle a disparu, les amas de « choses » échouées qui dressent leurs silhouettes squelettiques là où jadis battait la mer libre de l’esprit. Le concept de mécanisme convient aux phénomènes qui s’accomplissent dans cette zone de déchets, sur cette plage d’immobilités et de cadavres. Mais la vie elle-même est plutôt finalité, sinon au sens anthropomorphique de dessein prémédité, de plan ou de programme, du moins en ce sens qu’elle est un effort incessamment renouvelé de croissance et de libération. Et de là les formules bergsoniennes : élan vital, évolution créatrice.