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Tout était parti pour la défense de Paris et pour l’armée de la Loire. Dans le Nord, la présence de Bourbaki, malgré son loyalisme absolu, donna lieu à de telles récriminations que le général lui-même voulut se retirer. Mais, sur les instances de Gambetta, il avait accepté un commandement à l’armée de la Loire, puis, après la victoire de Coulmiers, il avait pris la direction des 18e et 20e corps qui passèrent heureusement la Loire à Jargeau et à Sully le 5 décembre. Le 7 décembre, après avoir repoussé les Allemands devant Gien, il se décidait à se replier sur Bourges pour donner, s’il était possible, à ses soldats le temps de réparer leur désordre et de sortir du dénuement qui les avaient exténués. La retraite de Bourges par un froid et un verglas affreux fut des plus pénibles. Les combattans aux prises avec l’ennemi et les plus graves intempéries n’étaient plus qu’un troupeau d’hommes à moitié démoralisés. Il fallait nécessairement plusieurs jours de repos pour leur rendre la solidité voulue et leur permettre de reprendre une vigueur apparente, sous peine de voir « la toile, à peine tissée, s’en aller en charpie. » On comprend maintenant combien étaient justes ses craintes et ses doléances, et l’on se rend compte de la tristesse qu’avaient jetée en son âme les douloureux événemens par lesquels il venait de passer. Ce n’était certes pas de l’abattement et de l’apathie, mais le sentiment de sa responsabilité et de justes inquiétudes motivées par la situation désolante de ses troupes, beaucoup trop jeunes pour résister à des épreuves devant lesquelles auraient fondu même les plus vieilles troupes de l’Europe. Il sentait que vouloir jeter ces hommes sur l’ennemi, sans les avoir fait se reposer et ravitailler à fond, c’était les mener à une boucherie abominable. Mais dès qu’il les vit en meilleur état, dès qu’on adressa un nouvel et pressant appel à son dévouement, il n’hésita plus et, avec ce qu’il avait sous la main, placé en des conditions inouïes, il fit des prodiges : ce serait une injustice suprême de ne pas le reconnaître.

En ce qui concerne la tentative de suicide de Bourbaki, il est certain que le jugement rigoureux porté sur ses opérations contribua à cet acte de désespoir insensé. M. de Freycinet convient lui-même que les dépêches pressantes envoyées par lui, et « où ne perçait pas toujours la satisfaction, l’avaient beaucoup affecté. L’une d’elles surtout, dit-il loyalement, par suite