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le principal personnage, toujours en scène, est, à lui seul, toute la pièce, qui tout entière évolue autour de lui. Mais qui est Marital ? Nous sommes tentés de nous faire de lui quelque idée, d’après des exemples empruntés à la réalité. Depuis quarante ans de vie parlementaire, — et on sent bien que je ne songe à médire de personne, — son cas a dû se présenter beaucoup plus d’une fois. Parmi les hommes politiques qui ont eu des ennuis, les uns, qui étaient des faibles et des médiocres, se sont abîmés : ils ont disparu de la scène. D’autres ont tenu le coup, rattrapé le pouvoir, et, par un savoureux mélange d’énergie et de cynisme, conquis cette espèce d’admiration qu’on ne refuse pas aux types de forbans un peu réussis. Mérital appartient-il à cette intéressante espèce, comme nous induisent à le croire les quelques indications qu’on nous fournit sur sa psychologie ? Mais alors, est-ce d’un tel homme qu’on peut attendre et l’aveu du second acte et le récit du troisième ? Après qu’il vient de mettre Frépeau à la raison, quand il est redevenu maître de la situation, comment admettre qu’alors justement il songe à la retraite ? Patience ! nous dit-on. Sa démission n’est pas encore donnée, et il y a dix-huit mois jusqu’aux prochaines élections. Mais nous n’avons pas à discuter sur le lendemain de la pièce. Nous jugeons de l’homme par sa conduite présente. Cela nous étonne qu’ayant commencé en Hercule ou en frère Marseille du parlementarisme, il finisse en neurasthénique.

Ou voulons-nous, luisant l’os, en tirer la substantifique moelle, c’est-à-dire l’étude morale ? A coup sûr, le sujet comportait une étude, très belle ou du moins très poignante, et dont l’idée nous est sans cesse suggérée. C’est celle des conséquences lointaines par où se continue chacune de nos actions, celle de la solidarité qui existe entre tous les momens d’une même vie. J’ai commis une faute, un jour. Sous quelles influences, dans quelle crise, à quelle minute d’aberration ? Peu importe. Depuis lors, j’ai tout fait pour la racheter. J’ai accumulé les sacrifices et les héroïsmes. J’ai réuni en moi l’honnêteté de dix justes. Et pourtant, le poids de la faute expiée continue de peser sur moi ; la tare ancienne subsiste ; toutes les eaux de la purification ont passé sur la tâche et ne l’ont pas lavée. Car on peut réparer un dommage matériel : on ne répare pas le préjudice moral qu’on s’est fait à soi-même. C’est au ciel que les péchés se remettent et s’effacent : en notre pauvre monde, ils continuent de nous tenir à la gorge. Dure loi, si vous voulez, mais c’est la loi. Est-elle d’ailleurs aussi dure qu’aime à l’insinuer notre actuelle veulerie ?