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ces effusions, de ces exaltations magnifiques, où l’âme passionnée s’abandonnait sans réserve à la toute-puissance des sons. Elle a l’air aujourd’hui de la craindre, de s’en défendre, et le drame ou la tragédie musicale s’enferme, se traîne dans un dialogue non seulement continu, mais uniforme, que pas un élan ne relève, que n’avive pas un éclat.

Avec cela, si les apparences de la musique sont plus diverses, plus riches peut-être, il semble bien que le fond ou la réalité s’en appauvrisse par la division et l’émiettement. Ce qu’on appelle, je crois, les « hachures, » n’est pas seulement une manière de peindre. Les musiciens la pratiquent aussi. Que les idées ou les formes sonores aient aujourd’hui moins d’ampleur, qu’elles subissent une espèce de restriction générale, cela est sensible jusque chez les maîtres contemporains, je parle des plus grands, et par la seule comparaison de leurs œuvres anciennes avec leurs dernières œuvres. Les lecteurs de la Revue nous seront témoins que nous n’avons pas décrié Déjanire. Mais ce fut sans y trouver, sans même y chercher un seul épisode qui, pour la largeur et l’abondance, approche des pages les plus célèbres, autrement soutenues et développées, de Samson et Dalila. Ainsi partout et chez tous, les conditions générales du style ont changé et sans doute il n’est au pouvoir de personne de ramener un art qui se partage et se disperse, à la forte synthèse et aux grandes généralisations d’autrefois.

Nous avons tout dit de la forme ou des formes de la musique de Bérénice, et c’est comme si nous n’avions rien dit encore. Au fond, l’impression générale que l’œuvre nous a laissée, la première et la dernière aussi, qui n’a fait que se préciser et se creuser davantage, est une impression de froideur, de sécheresse et d’insensibilité. Pascal a parlé quelque part des puissances de sentiment. Elles n’agissent point ici. La vie, que seules elles dispensent, la vie est ce qui manque le plus à la tragédie musicale de M. Magnard. Gounod, dans la dédicace de son oratorio Mors et Vita au pape Léon XIII, exprimait le vœu que sa musique accrût la vie en lui-même ainsi qu’en ses frères. Loin de produire, en nous du moins, un tel accroissement, des ouvrages tels que Bérénice ne font qu’amoindrir la conscience et le plaisir de vivre.

Les partisans de l’ouvrage ont dit encore : « C’est la faute des interprètes : » Il est certain que les deux principaux n’ont rien épargné pour aggraver (et de quel poids ! ) une œuvre déjà lourde. Mais, si c’eût été du Mozart, on s’en serait tout de même aperçu.