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épargnés. Sa mission était tout autre : c’était une mission de paix et de bonheur. » Pour connaître Mendelssohn, et pour l’estimer, écoutons cette voix d’outre-tombe ; elle dit plus vrai que la voix de certains vivans.

Elle a bien parlé d’autres maîtres encore, des maîtres souverains. A l’égard de Bach en particulier, Schumann éprouvait une admiration, dont son œuvre ne révèle pas autant que sa correspondance la religieuse ferveur. Palestrina le ravit : « Cela résonne parfois comme une musique céleste. Et quel art merveilleux ! Je crois vraiment que Palestrina est le plus grand génie qu’ait produit la musique italienne. » Sur Wagner, dont il ne connut que les commencemens, à Dresde, en 1845, il écrit, et justement dans la lettre citée plus haut à Mendelssohn, après une première lecture de Tannhäuser : « Wagner est certainement un musicien spirituel, plein d’inventions folles et rempli d’audace, pour qui l’enthousiasme de l’aristocratie ( ? ) date de Rienzi ; mais en réalité il est à peine capable d’écrire et de penser convenablement quatre mesures de suite. Ce qui leur manque à tous, du reste, c’est la science de l’harmonie et l’art d’écrire des chœurs à quatre voix. Que restera-t-il de cela dans l’avenir ? Nous avons la partition imprimée devant nous, ce n’est qu’une suite de quintes et d’octaves. On voudrait bien les changer, les rayer, mais il est trop tard ! Allons, assez. Cette musique n’est pas d’un cheveu meilleure que celle de Rienzi, plutôt moins brillante et plus exagérée. »

Mais attendez un peu, très peu, trois semaines au plus : « Je vous entretiendrai peut-être bientôt de vive voix de Tannhäuser.. Je retire beaucoup du jugement que j’avais porté lors de la première lecture de la partition. Sur la scène, cela fait un effet tout différent, et j’ai été vivement impressionné par différens morceaux. » Voici enfin le dernier état de la pensée de Schumann ; c’est celui que devait confirmer l’avenir : « Je voudrais que vous vissiez le Tannhäuser de Wagner. Il renferme cent fois plus de profondeur et d’originalité que ses premiers opéras, — unies toutefois à certaines trivialités musicales. En résumé Wagner peut prendre une grande place au théâtre, et, tel que je le connais, il aura l’audace nécessaire pour y réussir. Je trouve sa technique et son instrumentation parfaites, supérieures, sans aucune comparaison, à ses œuvres précédentes. Et il a déjà terminé un nouveau poème : Lohengrin. »

Journaliste et critique musical, Schumann estimait peu ses confrères. « Quant aux éloges ou aux blâmes de ceux qu’on appelle les critiques professionnels, ce sont des fadaises qui ne peuvent que