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« Une physionomie telle que je n’en ai pas vu qui y ressemblât, et qui ne se pouvait oublier quand on ne l’aurait vue qu’une fois. Elle rassemblait tout, et les contraires ne s’y combattaient point. Elle avait de la gravité et de la galanterie, du sérieux et de la gaîté... Ce qui y surnageait, ainsi que dans toute sa personne, c’était la finesse, l’esprit, les grâces... Il fallait faire effort pour cesser de le regarder. »


I

Le 10 janvier 188S, il paraissait, dans la Revue Bleue, un article intitulé : Professeurs au Collège de France : M. Ernest Renan. Ah ! le joli, l’étincelant, le fringant et piaffant article, et comme l’on comprend encore, en le relisant aujourd’hui, qu’il ait fait alors le tour de Paris, et qu’il ait, du jour au lendemain, rendu son auteur célèbre ! « Avec une insolence de page, une logique fuyante de femme et de jolies pichenettes à l’adresse » de son héros, — c’est M. Lemaître qui parle ainsi, — avec une candeur plus malicieuse encore qu’ingénue, avec un mélange bien savoureux de franchise et de rouerie, avec une verve çà et là un peu caricaturale, mais pleine d’imprévu et de vie jaillissante, le jeune écrivain nous traçait un portrait en pied de Renan ; il le surprenait dans l’amusant déshabillé de son cours du Collège de France ; il essayait de saisir, sur ce large visage épanoui qu’il nous a si drôlement décrit, le secret de son imperturbable gaîté ; chemin faisant, et sans avoir l’air d’y toucher, il disait au maître ironiste plus d’une vérité un peu dure. Et il y avait dans tout cela tant d’esprit, et tant de talent, un style si alerte et si pimpant, et, sous la grâce du sourire, un si lumineux bon sens, une intelligence si déliée, si fine et si ouverte, bref, une originalité si vive et si charmante, que ce fut un émerveillement. On ne disait pas : « Avez-vous lu Baruch ? » mais : « Avez-vous lu Jules Lemaître ? »

Et comme il n’y a que le succès qui réussisse, le nouveau venu n’allait pas tarder à recevoir la consécration suprême. L’auteur de la Vie de Jésus s’était senti touché plus fortement qu’il ne le voulut bien dire. Lui, si dédaigneux d’ordinaire à l’égard de la littérature contemporaine, il crut devoir répondre. Ce fut quelques mois après, dans un discours prononcé à Quimper : « Un critique, disait-il, me soutenait dernièrement