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A son sourire humain et de larmes voilé,


la chaleur même de son accent nous avertit que l’auteur s’est oublié pour laisser parler l’homme.

M. Jules Lemaître serait, j’en suis sûr, le premier à se moquer de moi, si je m’avisais de le célébrer ici comme un grand poète ; — et il faut redouter les railleries de M. Lemaître. Un grand poète ne se serait point contenté de publier deux minces recueils de vers entre vingt-cinq et trente ans. J’avouerai même, si l’on y tient, qu’une histoire sommaire de la poésie française au XIXe siècle peut, à la rigueur, négliger son œuvre sans commettre un trop flagrant déni de justice. L’originalité poétique de l’auteur des Médaillons et des Petites Orientales est réelle ; elle n’est pourtant pas assez éclatante pour s’imposer de haute lutte à la critique ; elle est peut-être, aussi, mêlée à trop d’imitations ou de réminiscences, — le poète l’avoue lui-même quelque part, — pour le placer franchement au premier rang, fût-ce des poetæ minores. Il suffit, pour s’en convaincre, au sortir de la lecture de ces deux petits volumes, de relire Sainte-Beuve ou Baudelaire, Heredia ou Coppée, Verlaine ou Angellier : on sentira toute la distance, ou la différence. Et puis, qui sait ? Si, comme je le crois, la vraie poésie est un je ne sais quoi, plus facile à sentir qu’à définir, et qui, sans être à proprement parler de la musique, tend vers la musique comme à sa limite extrême, peut-être y a-t-il trop peu de ce je ne sais quoi dans les vers de M. Jules Lemaître pour qu’on puisse, avec sûreté, le classer dans la phalange sacrée.

Et cependant, comme il serait fâcheux, pour lui et pour nous, que M. Lemaître n’eût point écrit de vers ! D’abord, qu’il y ait en lui une âme de vrai poète, c’est ce que je ne m’attarderai pas à démontrer longuement. En second lieu, que ce « poète inédit » ait souvent trouvé des « rimes » assez adéquates à son rêve, c’est ce qu’on a dû plus d’une fois noter au passage. Il y a de jolis vers dans ces deux recueils, et plus d’une pièce que guetteront les anthologies de l’avenir. Et puis, ce critique qui « adore les vers » a dû éprouver tant de plaisir à en faire pour son propre compte ! « Sachez-le, s’écriait-il un jour, rien au monde n’est plus amusant que d’enchaîner des rimes, et ceux qui se livrent à cet exercice ont déjà reçu leur récompense. Rien n’égale la joie pure et pleine que donne la