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lucarne ni fenêtre basse, ni sur rue, et qu’elles se couchent et lèvent à votre heure... »

Quelque méticuleux que fussent les choix, nul ne devait se flatter de garder longtemps les « gens de maison » des deux sexes qu’il avait engagés. On peut s’en convaincre en parcourant les très nombreux livres décomptes où nos aïeux consignaient, parmi les menus événemens de leur vie journalière, l’entrée et la sortie de leurs domestiques. Un magistrat parisien, qui paie régulièrement, change neuf fois son laquais de 1698 à 1704 ; un nommé Champagne reste cinq semaines, un autre Champagne dix-neuf mois, un appelé Bourbonnais lui succède pendant sept mois et ainsi de suite ; en 1704, ce magistrat trouve enfin un serviteur qu’il garde cinq ans.

De 1740 à 1783, un gentilhomme picard doit remplacer vingt fois son valet ; l’un « s’est ennuyé, » — beaucoup « s’ennuyaient » ainsi, c’est la formule, — et sort au bout de trois mois ; un autre s’engage comme remplaçant dans la milice ; celui-ci se dit malade, celui-là quitte pour se marier ; bref, la durée moyenne est peu supérieure à deux ans. Ailleurs, il en est de même des servantes : pour une qui restera dix-sept ans, il y en a huit ou dix de tous les âges qui passent de trois mois à quatre ans. Dans une ferme du Boulonnais, au XVIIIe siècle, la durée moyenne, calculée sur 18 serviteurs mâles, est de deux ans et sept mois et, pour 10 femmes successives, de vingt-sept mois.

Il n’y a rien là de très différent de ce que nous voyons aujourd’hui, et l’on pourrait citer, parmi nos contemporains tout autant que jadis, de touchans témoignages de générosité et d’attachement chez de bons maîtres et de bons domestiques ; mais ce que l’on ne trouverait plus, je crois, du moins en France, ce sont de mauvais domestiques qui ont le goût et la gloriole du service de certains maîtres.


GEORGES D’AVENEL.