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de Constantinople pour assurer l’évacuation ; mais rien n’est plus douteux, ni plus aléatoire, ni, à parler franchement, moins vraisemblable. Il y a là une situation qui s’impose à la Porte aussi bien qu’à l’Italie. Il faudrait que cette dernière remportât des succès décisifs, soit dans la Tripolitaine, soit ailleurs, — nous ne saurions dire où, — pour que la Porte s’inclinât devant une manifestation de la volonté d’Allah et que cette volonté fût sentie par ses peuples. Nous n’en sommes pas encore à ce point, et les choses peuvent durer encore quelque temps avant que nous y soyons. La Russie insiste, paraît-il, pour que les conditions de paix énoncées par l’Italie soient portées par les Puissances à la connaissance de la Porte, et on assure que cette démarche est à la veille de se faire : nous serions bien surpris si elle avait d’autre conséquence qu’un refus formel de la Porte d’accepter ces conditions et, si on lui demande de faire connaître les siennes, on n’aura abouti qu’à creuser un peu plus profondément le fossé entre les deux belligérans.

Sur ces entrefaites, l’empereur Guillaume, qui avait décidé depuis quelque temps déjà d’aller faire un voyage à Corfou, est passé par Vienne et par Venise où il a vu successivement ses deux alliés, l’empereur François-Joseph et le roi Victor-Emmanuel. La première de ces rencontres n’a sans doute pas eu un caractère politique, mais il n’en est pas de même de la seconde : l’empereur d’Allemagne et le roi d’Italie ont certainement parlé de la guerre et cherché ensemble des moyens d’y mettre fin ; mais les ont-ils trouvés ? Les conseils donnés par l’empereur Guillaume ont dû être excellens. L’Empereur, en effet, en dehors même de ses sentimens personnels enclins à la paix, a tout intérêt à voir finir une guerre qui, mettant en conflit l’Italie, son alliée, et la Porte, son amie, le met lui-même dans quelque embarras. On juge d’ailleurs mieux des choses lorsqu’on n’y est pas personnellement engagé. Malgré tout, nous doutons que la solution soit proche, et c’est une grande tristesse pour l’Europe de voir se prolonger une guerre où ses propres intérêts risquent de se trouver compromis. Jusqu’ici les Balkans sont tranquilles, mais nul ne peut répondre qu’ils le seront encore demain : et les journaux parlent de mouvemens de troupes russes du côté du Caucase, qui causent peut-être plus de préoccupations à la Porte que la guerre de Tripolitaine et seraient de nature à soulever des complications nouvelles. M. Winston Churchill a raison dans le jugement qu’il porte sur le temps troublé où nous sommes : il est dangereux de jouer, sur un point quelconque du monde, avec un feu qui peut prendre