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plus aucune rumeur même lointaine ; les lampes du firmament pâlissaient sous le voile d’une brume légère. Il m’advint alors ce que Dante éprouva lors de son passage à travers le monde des trépassés. Je me trouvai au milieu d’ombres groupées autour de moi. Elles étaient sorties des tombes couvertes par l’herbe et marquées de croix de bois. L’une s’avança et me dit : « Salut, ami, quand notre Empereur nous a demandé de venger notre chère France outragée nous avons couru aux armes. Encore brisés par une nuit passée sous les rafales torrentielles de l’orage, nous avons lutté ici sans repos pendant un long temps avec la ténacité furibonde que donne le désir de vaincre. Nous ne nous sommes entassés inanimés les uns sur les autres que lorsque notre dernier souffle s’est éteint avec notre dernière cartouche. Mais des années se sont écoulées depuis ce jour. Parmi vous en est-il encore beaucoup qui se souviennent comme toi ? — Votre mémoire, répondis-je, est vivante dans tous nos cœurs. Votre héroïsme est une de nos plus belles fiertés. Vous êtes toujours parmi nous présens, aimés, glorifiés. » Eux cependant, en m’écoutant, sanglotaient tout bas : « Qu’est-ce qui vous désespère ainsi ? — Ami, répondirent-ils, depuis quarante ans nous n’avons pas encore trouvé le sommeil paisible du repos éternel ; nous ne l’aurons que lorsque cette terre, sacrée par notre sang, sera redevenue française. » Et ils disparurent.


EMILE OLLIVIER.