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762 REVUE DES DEUX MONDES.

Eh bien ! non ! J’irai dans le parc. J’aborderai Thérèse et Emilie. Je leur annoncerai que j’ai reçu un télégramme, que je passerai quelques heures dans la villa où mon associé achève sa vie lamentable. Je le leur dirai.

Je n’ai pas le temps. Mes sœurs insinueront, discuteront, supplieront ; et je manquerai le train. Jusqu’à cet Ernest qui cache sa tête dans mon sac pour sourire pendant qu’il plante les flacons dans leur gaine, qu’il case mes babouches entre mes chemises de nuit et ma robe de chambre. Voilà bien mes pastilles de Vichy, mon iodalose, et mes paquets de bicarbonate. C’est trop fort. Tout ce monde, sœurs, nièces, neveux, cuisinière et larbins, tout ce monde que j’héberge, que je nourris, que je gorge et que j’appointe, tout ce monde attente à ma liberté, la plus naturelle... Que suis-je donc ? — Un imbécile.

— Ernest, voyons. Vous dormez... Fermez le sac, et descendez... Vous remettrez ces deux billets de cent francs à Maria pour les dépenses de la maison. Elle n’aura qu’à demander les ordres à M"" Huvelin... Je veux dire au revoira ces demoiselles. Priez Louisette de les avertir.

Dieu, que ce pantalon va mal ! Il marque le ventre. Que ne puis-je aller là-bas dans mon costume de chasse ou dans mon costume de cheval ? J’aurais dû ne pas engraisser, m’astreindre à des régimes. Impossible. Dès que je réduis mes menus, je tombe malade. Tant pis. Les petites riront si elles veulent : je change de culotte ; j’endosse ma jaquette neuve ; et je noue ma cravate espagnole.

Mes nièces m’attendent dans le corridor.

— J’ai reçu un télégramme. Il faut que je déjeune à Paris. Excusez-moi auprès de vos mamans... hein ? À ce soir. Je file... L’express ne m’attendrait pas.

— Tu continuerais en auto... propose Juliette.

— Pour crever mes pneus sur cette sale route ? Isabelle me dévisage, me toise, et se gausse :

— Si tu vas à Paris, tu pousseras bien jusqu’à Suresnes, oui, jusqu’à l’hôpital de M. Clermont. Embrasse Stéphanie pour moi.

— El pour moi, mon oncle.

— Embrasse-la bien... répète la voix tout à coup rageuse et tremblante d’Isabelle... Et pour Félix aussi !

— Pour Félix aussi !