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quatre heures et demie chez notre pimpante voisine. Elle recevait, précisément, parmi les tables et les fauteuils anglais. Quelques visiteurs m’avaient devancé ; M. de Lespinat, votre belle-sœur Lucie et le célèbre pianiste parisien. Tout en rendant mes devoirs à Mme Demonville, je ne me fis pas faute de suivre attentivement trois parties successives, et de prendre quelques notes mentales sur les joueurs, pour enrichir mes fiches.

Fervent adepte de l’exercice physique et redevable envers lui, je crois, d’une santé qui a du moins persisté jusqu’à ce jour, le tennis me paraît comme sport d’un ordre quelque peu inférieur, et sans traiter (à la façon de Kipling) les joueurs de tennis de « nigauds en flanelle, » je reproche au tennis d’être un sport pratiquement inutile, une gymnastique n’ayant d’autre objet qu’elle-même. Dans la vie réelle, c’est chose fort rare qu’on ait à renvoyer utilement une balle avec une raquette : tandis qu’on a parfois un intérêt capital à atteindre un but avec un objet lancé à la main. Le discobole fait un exercice pratique, le tennisseur point. L’escrime, l’équitation, la natation, la course, le saut, la lutte, le patinage, la gymnastique dans les agrès sont des sports éminemment utiles au cours de la vie, outre qu’ils font jouer les muscles et les poumons. L’utilité du tennis est limitée à ce jeu des poumons et des muscles : le geste qu’on y exerce n’a pas d’usage hors le champ de tennis ; c’est un geste superflu… Petit-Pierre et Simone ne furent donc pas spécialement dressés au tennis ; mais, comme ils sont entraînés à fond à la course et au jet de la balle, comme, d’autre part, le tennis les amuse, ils y font figure honorable, surtout Petit-Pierre. On daigne les admettre pour compléter un quadrille, au besoin. Je vous assure qu’alors ils s’y adonnent de toute leur âme, et ne pensent point à autre chose qu’à « servir » difficilement les balles ou à leur imposer les trajectoires les plus tendues.

Je n’en dirais point autant, Françoise, de toutes ces adolescences que je vis, le même jour, évoluer des deux côtés du filet… Une fois de plus, je constatai que le tennis a été un des moyens les plus efficaces, pour la jeunesse française moderne, de relâcher l’antique discipline qui, naguère, séparait les deux sexes. Vous, Françoise, jeune fille de la période de transition, vous vous rappelez les hésitations, les terreurs de votre mère, l’excellente Mme Le Quellien, lorsqu’il fallait vous