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d’adapter leur science à cet esprit, ils écrivassent tout ce qu’ils ont dans la tête, tout ce qu’ils pillent dans des bouquins, et envoient ce galimatias à l’imprimeur. Paresseux aussi sont les faiseurs de programmes ; car il est infiniment moins difficile de composer sur le papier un menu somptueux, que d’exécuter le plus modeste des bons repas, et qui soit, en outre, digérable. Enfin, vos parens eux-mêmes ne furent pas exempts de paresse, qui crurent avoir accompli tout leur devoir en vous mettant dans les mains ces livres bâclés et en vous imposant ces programmes indigestes.

« Je vous le dis non sans tristesse : il est déjà bien tard pour changer de méthode avec vous. Vous avez passé douze ans ; beaucoup de vos habitudes de compréhension et de travail sont fixées ; vous les traînerez toute votre vie, à moins d’une violente réaction d’énergie et d’un effort nouveau, très intense. Faute de cette réaction et de cet effort, vous serez, mon Dieu ! tout simplement des gens comme la plupart de nos contemporains, à culture tellement peu profonde qu’autant vaudrait la friche : la culture de ces laboureurs de l’agro romano qui grattaient la terre avec un soc de bois… Vous saurez d’allemand ou d’anglais autant qu’un portier de palace-hôtel ; ce n’est pas inutile, mais je vous ferai remarquer qu’une bonne ou un garçon de café apprennent cela en six mois de service, dans le pays. Vous saurez tenniser, golfer, patiner : mais il y a cent à parier contre un qu’on n’aura pas discipliné votre endurance à la marche, à la course, qu’on ne vous aura pas appris à vous défendre contre la force ou à vous sauver par les fenêtres et les toits, en cas d’incendie : ce qui serait tout de même plus utile que de lancer une balle de caoutchouc.

« Laissant de côté la culture physique, — heureusement restaurée dans votre génération, et seulement pas assez pratique, — je vais vous donner certains avis qui pourront vous être utiles, si vous souhaitez quand même devenir cultivés intellectuellement.

« La première connaissance qu’il importe de posséder, c’est celle de SA LANGUE. Par la langue maternelle afflue en nous tout ce que nos sens ne suffisent pas à nous apprendre. Notre enfance sera d’autant plus riche d’idées, d’autant plus compréhensive ; elle poussera d’autant plus vite et plus loin son enquête sur le monde extérieur que nous saurons plus tôt, et