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de Sainte-Assise ; Carmontelle perdait le maître qu’il servait depuis vingt-trois ans. Son étoile n’en subit pas d’éclipse ; après la faveur du père, il hérita celle du fils et nous le voyons émarger, jusqu’à la Révolution, toujours en qualité de lecteur, sur les « états » de la maison d’Orléans.

La mode des proverbes était à son déclin, mais le dessinateur de jardins, le successeur des Le Notre et des La Quintinie allait trouver une autre façon d’exercer ses talens.

Là-bas en banlieue, sur les hauteurs de Mousseaux, Son Altesse faisait construire un plessis sous les ombrages et, pour cette « Folie de Chartres, » rêvait d’un parc somptueux. Carmontelle conçut un plan grandiose qu’il exécuta en partie ; vastes boulingrins et savans parterres, bocages discrets, cabinets de verdure, ruines et rocailles en décor, pièces d’eau, nymphée et naumachie.

Son œuvre bouleversée, amoindrie aux deux tiers par les empiétemens successifs du Paris moderne, subsiste encore aujourd’hui ; mais, parmi les promeneurs ou les habitués du Parc Monceau, combien en est-il pour connaître, seulement de nom, le créateur de leur promenade favorite ?

Avec la Révolution commencèrent pour l’ancien meneur de frairies les années difficiles. Après la confiscation du Palais-Royal et la mort de Philippe-Égalité, témoin attristé de l’écroulement d’un monde, il vint habiter en un modeste logis au n° 22 de la rue Vivienne. Les fiers-à-bras et les « patriotes » des sections n’inquiétèrent pas l’inoffensif vieil homme. La Terreur ensanglanta la ville sans l’atteindre. Il vécut ignoré, sortant à peine et subsistant de peu. Jadis, aux temps de ses prospérités, il se montrait prodigue et volontiers magnifique, insoucieux de l’avenir qu’il estimait assuré. Ses minces économies dépensées, il connut la gêne, allait subir la misère, quand le dévouement d’un ami le sauva.

Plusieurs fois déjà, au cours de ce récit, nous avons rencontré le nom du chevalier de Lédans. Ce dernier protecteur de Carmontelle, qu’une suprême bonne chance plaçait sur sa route, vaut d’être rapidement figuré ici.

Il était gentillâtre de Lorraine, né à Mirecourt en 1736. D’abord garde du corps de Stanislas, il passait ensuite au service du Roi, lieutenant aux grenadiers de France en 1757, puis capitaine à la légion de Saint-Victor à Saint-Domingue, enfin